Ah, les beaux dimanches sur le Richelieu !

Notre Richelieu, si beau et si limpide, avait de nombreux amants, dimanche dernier, de même que de douces amantes, cela va sans dire.

Nos yachts à vapeur, ayant à leur bord de brillants équipages, le sillonnaient en tous sens au grand contentement des vives naïades et des nymphes craintives ouvrant, du fond des grottes verdoyantes, leurs yeux étonnés et ravis.

Tandis que l’Alexandria conduisait son équipage à l’Isle aux Noix, le Nirvana poussait une pointe au pont de Lacolle où les excursionnistes se livraient au plaisir de la pêche. De son côté, l’Astonia faisait escale à l’hôtel Gosselin suivi de l’Eva et de la Mandoline.

Quoi de plus attrayant que les rencontres de ces divers bateaux ! Le sifflet retentit, la canon gronde, effrayant bien un peu les oreilles délicates de la plus belle moitié du genre humain; mais, le premier moment de frayeur passé, leurs mignons visages s’illuminent de joyeux sourires, les mouchoirs s’agitent et souvent — très souvent — tel grave personnage qui, sur notre grande artère commerciale, ne risquerait pas un coup de chapeau, se surprend à tirer des grands saluts au petit vapeur qui passe, rapide, fendant de sa proue effilée, le flot qui le caresse. La joie est communicative sur l’eau, voyez-vous, et le cœur se laisse doucement bercer au mol roulis des vagues.

Aimons notre Richelieu que les étrangers nous envient et profitons des beaux jours, si courts, comme dit la chanson.

Le Canada français (Saint-Jean-sur-Richelieu), 27 juillet 1894.

La photographie prise sur le Richelieu par Gilles Richard en 1962 est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Office du film du Québec, Documents traités (support 35 mm en cours de numérisation), cote : E6,S7,SS1,D621614.