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Un bal chez Boulé en plein cœur de Montréal

Y’a pas que dans les territoires nouvellement défrichés qu’on se livre à des bals à tout casser. Voyez ce qui se passe à Montréal le 29 août au soir, en 1900 ! Le groupe de joyeux lurons se mérite un article dans le journal La Presse du lendemain. Manifestement, on a décidé de fêter en grand la fin de l’été.

Les auteurs modernes qui sont fascinés par les charmes de la description ont retracé avec un pinceau habile des scènes de chorégraphie qui resteront à la postérité à titres de chefs-d’œuvre. Mais ces auteurs ont manqué de jugement en choisissant pour modèles des nymphes, des sylphes et des satyres. Ils auraient dû fréquenter la compagnie de certaines gens qui demeurent sur la rue Craig, dans le voisinage des rues Vitré et Sanguinet. Ils auraient, sans aucun doute, modifié la cadence de leurs inspirations poétiques.

Hier soir, il y avait bal chez Boulé, comme dit la chanson, dans une de ces maisons en question. L’orchestre qui fournissait la musique pour la circonstance était unique en son genre, à en juger par les sons discordants qu’il faisait entendre.

Pour les voisins paisibles qui courtisent l’oreiller de bonne heure le soir et qui embrassent le travail au lever du soleil, il semblait que le démon, qui a nom en littérature cacophonie, s’était muni de plusieurs paires de jambes pour renchérir sur la confusion. Le Stradivarius devait être un sourd-muet, car il frottait l’arcanson avec une fureur née du désespoir.

Le joueur d’accordéon avait pris des leçons du professeur qui joue la syrène à vapeur dans le cirque de Forepaugh. Il était fortement appuyé d’un joueur de ruine-babines qui se démenait comme un diablotin sous la fourche de Satan.

Le tout était accompagné de trépignements, de claquements de mains et de cris assourdissants. Le caller des danses a déjà vendu du blé d’inde en épis dans les rues à minuit, car il avait une voix de mégaphone.

Dans l’ombre des rideaux de la cuisine, on voyait passer des formes enlacées, qui se confondaient, sautaient et se tordaient dans des courses vertigineuses. Les danseurs de gigues apparaissaient comme des fantômes qui se balançaient les bras pendants et le regard atone. Ce vacarme réveilla bientôt tous les animaux domestiques des environs. La colonie de chats, qui s’est réfugiée dans des coins obscurs des toits des environs, se mit de la partie. Les félins s’arrondirent le dos, dressèrent la queue et miaulèrent à s’arracher les griffes. Les Sioux et les Cayotes du Territoire indien n’ont, dans toutes leurs danses furibondes, crié aussi fort et aussi sauvagement que nos danseurs d’hier soir.

Les voisins sont fatigués de ces hurlements et de ces danses fantastiques en plein minuit. Ils font un appel pressant à la police de faire cesser ces perturbateurs de la paix publique et de mettre fin à de semblables charivaris.

Vous voyez ça ? Ce n’était sans doute pas le premier soir que le groupe se livrait à un bal chez Boulé, puisque, manifestement, le journaliste avait été prévenu et s’y était rendu. Il m’arrive même de penser qu’avec la belle plume qu’il utilise pour cette description, il fut sans doute tenté de frapper à la porte et de se joindre au groupe. Allez savoir. Il prend tant plaisir à nous décrire l’événement. Et enfin quelqu’un qui parle du chat.

J’aime beaucoup, d’autre part, retrouver dans ce texte la chanson du Bal chez Boulé. Mon père me l’avait fait connaître grâce au Quatuor Alouette, qu’il chérissait. En leur temps, les membres du Quatuor ont revivifié, à la manière des années ’30 et ’40 bien sûr, plusieurs des chansons traditionnelles québécoises. Jacques Labrecque, Raoul Roy, les Cailloux et puis d’autres viendront par la suite.

L’image ci-haut nous montre des épouvantails dansant dans le Vieux Chemin de Cap-Santé à l’automne 2010.

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=Q1ARTQ0000063

http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/musique_78trs/mi175.htm

5 commentaires Publier un commentaire
  1. Denis Jobin #

    Bonjour Jean,

    Que c’est savoureux. Cette description , ma foi, c’est du vrai Balzac. On s’y croirait.

    Denis Jobin
    Cap-SAnté

    28 août 2011
  2. Jean Provencher #

    Absolument, cher Denis. Rédigeant ce texte, le journaliste, on le sent, s’est vraiment payé la traite. Et bien qu’il dénonce ces fêtards, on dirait qu’il y a une part de lui où il les aiment.

    28 août 2011

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