Hommage à Jacques Charpentreau
Le poète, écrivain et instituteur Jacques Charpentreau (1928-2016) vient de décéder à Paris. L’homme, professeur de français, a consacré de grands moments de sa vie à développer le goût de la poésie chez les enfants.
Pour le saluer, voici quelques poèmes apparaissant dans son anthologie Le temps et les saisons en poésie, parue chez Gallimard en 1980.
Suivez-moi
Je soussigné, poète-roi
lucide et plein d’été
déclare que je vais
droit vers l’éternité.
Je n’ai pas ajouté
la haine sur la haine
ni porté au malheur
le fagot du mépris.
J’ai suivi le ruisseau
de lait et de bonté.
Suivez-moi vous serez
vêtus de feuille et de santé.
Pierre Boujut
* * *
Matin d’hiver matin d’été
Lèvres fermées et roses mûres.
Déchirante étendue où la vue nous entraîne
Où la mer est en fuite où la plage est entière
Soir d’été ramassé dans la voix du tonnerre
La plaine brûle et meurt et renaît dans la nuit
Soir d’hiver aspiré par la glace implacable
La forêt nue est inondée de feuilles mortes
Balance des saisons insensible et vivante
Balance des saisons équilibrée par l’âge
Paul Éluard
* * *
Demain
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
Robert Desnos
* * *
Il y aura d’autres étés
D’autres grillons feront leurs gammes
dans d’autres blés
On croisera sur la route d’autres dames
Un autre merle inventera
une chanson presque la même
Un autre monsieur se trouvera là
sous cet arbre où je t’aime
Une petite fille qui n’est pas née encore
fera une poupée en coquelicot
à cet endroit précis où ton corps
endormi se mêle au long bruit de l’eau
On dira (mais ce seront d’autres)
Il faudrait bien un bon coup de pluie
ça ferait du bien aux récoltes
Les mots feront le même bruit
Mais plus personne plus personne
ne se servira de mon cœur à moi
ni de ta voix à toi qui résonne
dans mon oreille et dans mon corps à moi
Claude Roy
* * *
Les deux oiseaux
L’oiseau qui niche dans la lune
Il dort le jour il sort la nuit
Ses ailes battent à bruit sourd
Les heures tombent une à une
Le temps résonne au fond des puits
Dans l’obscurité de velours
Plumes des rêves et des runes
L’aile noire du temps s’enfuit
Il sort la nuit il dort le jour
L’oiseau qui niche dans la lune.
L’oiseau qui vit dans le soleil
Il dort la nuit il sort le jour
Déchire la soie de l’aurore
Sonne la diane du réveil
Crépite le bruit des tambours
Feu des plumes multicolores
À l’oiseau mon cœur est pareil
Battent les heures tour à tour
Il sort le jour la nuit s’endort
L’oiseau qui vit dans le soleil
Jacques Charpentreau