Les petits métiers de la rue à Montréal (premier de trois billets)
Par le vent, par la neige, ou la pluie; quand le mercure semble prêt à geler dans les thermomètres et quand le soleil brûlant fait fondre l’asphalte, ils vont par les rues les vendeurs de journaux, petits et grands s’égosillant à crier : «Star, Patrie, La Presse !»
Levés en hiver, bien avant le soleil, les pauvres petiots, grelottant sous leurs vêtements trop légers, vont faire leurs provisions dans les bureaux des journaux du matin, puis prennent leur course au milieu des bancs de neige où ils disparaissent presque, offrant leur marchandise aux rares passants.
L’après-midi, vers deux heures, on les voit réunis dans la ruelle Fortification où ils font de nouvelles provisions. Et leur bande bruyante — Juifs, Irlandais, Canadiens principalement — se disperse dans toutes les direction. Les uns, débrouillards, épuisent vite leur stock; mais d’autres, malchanceux — et parmi eux des fillettes de 10 ou 12 ans — sont encore dans la rue à 8 heures du soir, pleurant, hélas ! à la pensée d’emporter à la maison les journaux invendus.
Et tout cela pour dix, vingt, trente sous, peut-être, par jour !
Que voulez-vous ? Le père, quand ils en ont un, gagne peu et le loyer, les vivres, le charbon et le bois coûtent si cher !
Mais il est une autre catégorie de vendeurs de journaux. Elle se compose d’hommes qui se sont créé une clientèle plus ou moins nombreuse. On les voit arpenter les rues à toute heure du jour, portant d’énormes paquets de feuilles quotidiennes ou hebdomadaires qu’ils vont livrer à domicile à leurs abonnés.
Qui ne connaît à Montréal le père Vermette ? Depuis quinze ans, peut-être, il déambule dans les rues de certains quartiers, pliant presque sous le poids des douzaines de journaux qu’il s’en va, placidement toujours, porter à «ses abonnés».
D’autres — mais nous voilà dans le haut commerce !— s’installent au coin de quelque rue, en des endroits choisis, leur boutique en plein vent. Il en est qui font des affaires d’or. Tels sont Pat Murphy et Jules, deux célébrités de la rue St-Jacques.
Ces deux «magnats» monopolisent la vente des journaux dans un grand nombre de bureaux des environs. Ils ont cheval et voiture et un employé pour faire la livraison en ville.
Pat Murphy a son étalage au coin des rues St-François-Xavier et St-Jacques et vend, outre des feuilles locales, des journaux et des revues américains.
Jules a adopté le coin de la rue St-Jacques et de la Côte de la place d’Armes. L’après-midi, de 2 heures et demie à 4 heures, ses journaux s’enlèvent comme des petits pâtés chauds. Il ne vendrait certainement pas pour plusieurs centaines de piastres l’endroit qu’il a obtenu de s’installer devant la banque Nationale.
La Patrie (Montréal), 18 février 1905.
La suite : demain.
Sur les métiers de la rue, voir aussi ce billet du 27 juillet 2013. Et celui-ci sur les marchands ambulants à Montréal.