Skip to content

Les marchands ambulants à Montréal

Prenant exemple d’un article sur les petits métiers de la rue à Montréal, paru dans L’Album universel du 22 juillet 1905, J.-B. Latulippe y va, une semaine plus tard, d’un papier sur les marchands ambulants.

Je vais procéder par ordre et, autant que possible, donner une idée des petits marchands dont il s’agit, classifiant leurs occupations selon le degré d’importance dont elles jouissent à Montréal.

Cependant, avant de me lancer dans des détails, je crois sage de faire remarquer qu’il faut une certaine vocation pour servir le public.

D’abord, et c’est logique, le marchand ambulant ne doit pas redouter les intempéries, puis, qu’il soit jeune ou âgé, il doit posséder une voix suraiguë ou de stentor. Là, réside une des principales chances de succès, quand on veut vendre n’importe quoi à n’importe qui, par exemple, en passant devant la demeure d’un citoyen possédant de nombreux enfants pour la plupart gourmands et dépensiers.

Qui ne connaît à Montréal le fruitier ambulant qui vend des bananes ? Je signale celui-là tout spécialement, parce que c’est un original en son genre. Il nous crie sa marchandise d’inoubliable façon. Pour dire la vérité, malgré sa voix au volume énorme, il a une telle manière de dire : «Belles bananes à 10 cents la douzaine» qu’il est impossible de savoir en quelle langue il s’exprime. Si on ne finissait par voir ses régimes de fruits exotiques, vainement et à perpétuité, on se demanderait ce qu’il vend, perché sur sa charrette.

Mais les enfants le savent bien, et dès que notre homme s’annonce, son véhicule est vite entouré de bambins amateurs du plus nourrissant des fruits. Ce qui ne l’empêche pas, lui et de nombreux collègues, de débiter des quantités d’autres produits de Californie, de Floride ou d’Espagne, tels que pêches, prunes, abricots, oranges, etc.

Je viens de parler d’enfants gourmands. Ils le sont tous plus ou moins, n’est-ce pas ? Les sucreries les tentent parfois outre mesure. Pardonnons-leur, hélas ! plus tard ils seront gourmands moins innocemment, la nature humaine le veut ainsi, et, puis, entre nous, soyons juste, et n’oublions pas qu’ils ne sont que notre image d’antan, ces chers petits.

Un des marchands favoris de cette classe de jeunes clients, c’est certes le marchand de crême à la glace, qui, l’été venu, trimballe sa roulotte d’un coin de rue à l’autre. Quelles notions de psychologie enfantine ne doit-il pas avoir ce vendeur de «fraîcheur sucrée» ? Sans compter qu’il sert aussi, mais plus rarement, des adultes. Rien n’est plus amusant que de voir ce débitant entouré de gamins et de gamines se pourléchant les doigts pour la modique somme d’un cent ou deux.

C’est que les finances du petit monde qui fait vivre le dit marchand ne sont pas florissantes et, comme Monsieur ou Mademoiselle Bébé ne peuvent pas aller au café se faire servir des sorbets roses, à la vanille, ou à la fraise, il faut bien qu’ils se contentent du modeste crêmier de la rue.

Un concurrent de ce dernier se trouve être le marchand de sucre «Klondyke». C’est un américain, de stature imposante et en tablier blanc, qui vend une sorte de sucre candi, assez appétissant et certainement plus propre d’aspect que la crême à la glace dont je viens de parler. Car, pour tout dire, je dois avouer que la dite crême est parfois servie dans des coquetiers qui ne sont pas d’un rigoureuse propreté. C’est au point que, naguère, l’autorité dut intervenir, sous ce rapport, pour prévenir des contagions morbides.

Laissant de côté la question d’alimentation, il y a aussi à signaler les marchands de menus objets d’ornements ou autres. Je veux parler des vendeurs de médailles, d‘insignes, d’objets de piété. On n’a pas idée du nombre de personnes qui gagnent leur vie en se livrant à ce modeste négoce. Car les bénéfices sont gros et les clients nombreux. Surtout à l’approche des fêtes, les marchands de cette classe font affaires sur la voie publique. Et, comme ils payent licence, on les voit au coin des rues, ornant des boutonnières, piquant des épingles fleuries, bref s’ingéniant à gagner quelques sous à la fois, qui, le soir, additionnés à domicile, feront des dollars.

Quant aux objets de piété, leur vente a longtemps été le monopole des Syriens. Mais, comme des abus furent commis, en cela comme en toute autre chose, depuis quelques mois, la loi a restreint les pérégrinations mercantiles de ces fils de l’Orient.

N’empêche que souvent le public est content de ne pas avoir à se déranger pour acheter des bagatelles qu’on leur apporte à domicile. Et c’est ainsi que les marchands de boutons, de bretelles, et parfois même de parfumerie à bon marché, gagnent de l’argent.

J’allais oublier le marchand de gaufres, c’eût été dommage, car il est agréable d’évoquer son profil, dans sa voiture où une torche au gaz lui permet de préparer sa légère et friande pâtisserie, cuite en plein air.

Et le marchand de maïs, de «blé d’inde bouilli», n’ayez crainte, à l’automne, après la récolte, il passera dans nos rues, pour vendre les bons épis chauds, qui réchaufferont les mains déjà engourdies par les premiers froids. Ce sera tout comme le marchand de marrons. Celui-là est une nouveauté en notre pays, et il rappelle ses confrères de Paris à ceux des nôtres qui ont visité la capitale française. Fait-il, font-ils des affaires ?

Je ne sais, mais j’ai été content d’en voir un avec son poêlon et son attirail, rue Saint-Laurent, non loin de la rue Craig, ce printemps dernier.

Certes, je ne bouclerai pas ces notes sans silhouetter les petits vendeurs de journaux, ces auxiliaires précieux de l’écoulement des grands quotidiens, des hebdomadaires et des revues.

À Montréal, la jeunesse qui se livre à ce petit commerce ne manque pas d’initiative et, si je m’en rapporte à ma mémoire, je crois même qu’elle a formé une association dans le but de protéger ses intérêts.

 

Le dessin de vendeurs ambulants près de la colonne Nelson à Montréal est de William Henry Bartlett et remonterait à 1838.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS