Skip to content

L’âne, par quelqu’un qui l’aimait beaucoup (premier de deux billets)

deux anes unGeorges-Louis Leclerc, comte de Buffon, (1707-1788), Français, fut un naturaliste fort important. On dit qu’il influença deux générations de naturalistes, en particulier Jean-Baptiste de Lamarck et Charles Darwin. Sa grande œuvre est son Histoire naturelle, complétée après son décès par Bernard-Germain de Lacépède (1756-1825).

Voici de l’Histoire naturelle extraite de Buffon et de Lacépède, Quadrupèdes, Oiseaux, Serpents, Poissons et Cétacés, publiée à Tours, chez Mame en 1894, une partie du texte sur l’âne. Et n’allons pas croire, selon Buffon, que l’âne descend du cheval.

Non, l’âne est un âne, et ce n’est point un cheval dégénéré, un cheval à queue nue; il n’est ni étranger, ni intrus, ni bâtard; il a, comme tous les autres animaux, sa famille, son espèce et son rang; son sang est pur; et, quoique sa noblesse soit moins illustre, elle est tout aussi bonne, tout aussi ancienne que celle du cheval.

Pourquoi donc tant de mépris pour cet animal si bon, si patient, si sobre, si utile ? Les hommes mépriseraient-ils jusque dans les animaux ceux qui les servent trop bien et à peu de frais ? On donne au cheval de l’éducation, on le soigne, on l’instruit, on l’exerce, tandis que l’âne, abandonné à la grossièreté du dernier des valets, ou à la malice des enfants, bien loin d’acquérir, ne peut que perdre par son éducation; et s’il n’avait pas un grand fonds de bonnes qualités, il les perdrait, en effet, par la manière dont on le traite : il est le jouet, le plastron, le bardeau des rustres, qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchargent, l’excèdent sans précautions, sans ménagement.

On ne fait pas attention que l’âne serait par lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n’y avait pas le cheval. Il est le second au lieu d’être le premier, et par cela seul il semble n’être plus rien. C’est la comparaison qui le dégrade : on le regarde, on le juge, non pas en lui-même, mais relativement au cheval; on oublie qu’il est âne, qu’il a toutes les qualités de sa nature, tous les dons attachés à son espèce, et on ne pense qu’à la figure et aux qualités du cheval, qui lui manquent et qu’il ne doit pas avoir.

Il est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille que le cheval est fier, ardent, impétueux : il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtiments et des coups. Il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture : il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent. Il est fort délicat sur l’eau; il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus. Il boit aussi sobrement qu’il mange, et ne s’enfonce point du tout son nez dans l’eau, par la peur que lui fait, dit-on, l’ombre de ses oreilles. Comme on prend pas la peine de l’étriller, ils se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère; et, sans se soucier beaucoup de ce qu’on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu’il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu’on prend de lui; car il ne se vautre pas comme le cheval, dans la fange et dans l’eau; il craint même de se mouiller les pieds et se détourne pour éviter la boue : aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval.

Il est susceptible d’éducation, et l’on en a vu d’assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. Dans sa première jeunesse, il est gai, et même assez joli : il a de la légèreté et de la gentillesse; mais il la perd bientôt, soit par l’âge, soit par les mauvais traitements, et il devient lent, indocile et têtu.

 

La suite : demain.

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS