Il y aurait tant à dire du pigeon voyageur
Si, un jour, vous avez le bonheur de croiser un colombophile et qu’il a quelques minutes à vous accorder, pressez-le de questions. Mon ramoneur l’est et il en a long à raconter.
Le journal La Patrie reproduit le 25 août 1900 un long article, sans doute français, non signé, sur «Les pigeons de la marine. Expériences remarquables». L’auteur tient ses informations du capitaine Reynaud, chargé du service des pigeons voyageurs à bord des paquebots de la Compagnie transatlantique. Voici quelques lignes.
Le pigeon messager peut effectuer de très grands parcours sur terre. Il voyage pendant le jour, cherche un gite le soir et repart le lendemain matin. Sa vitesse variable suivant le temps et les circonstances atmosphériques ne descend guère au-dessous de 50 kilomètres à l’heure et va jusqu’à 88 kilomètres. Il fera, si le temps est favorable, 1,000 kilomètres entre le lever et le coucher du soleil.
En mer, les conditions sont loin d’être les mêmes; le pigeon lancé de grand matin voyagera le jour du lâcher, comme s’il était sur la terre, mais, le soir arrivé, il n’aura pas toujours la ressource de se réfugier sur un arbre, sur un toit, s’il n’a pu gagner la côte; il cherchera un abri sur un navire pendant la nuit, par conséquent, il se déplacera et pourra être éloigné de son but. D’autre part, au moment de repartir, il n’aura souvent pu ni boire, ni manger; sa résistance à la fatigue sera par suite sensiblement diminuée le deuxième jour. […]
Et le petit courrier n’a pas seulement à redouter la tempête. À terre, quand il pleut, il peut aisément se garantir. Sur mer, il devra poursuivre son voyage sous la pluie ou dans le brouillard.
La conclusion à tirer de ces observations, c’est qu’il importe que le pigeon employé pour la poste en mer soit choisi parmi ceux dont l’endurance est très grande. L’oiseau obligé d’accepter la lutte contre les éléments doit vaincre ou mourir. Après des expériences faites en 1898, M. le capitaine Reynaud put constater que les pigeons ayant sur leurs congénères l’avantage du poids, de la puissance musculaire et de la capacité thoracique avaient seuls survécu.
Le capitaine Reynaud est incapable d’expliquer pourquoi le pigeon sait s’orienter et retourner à son colombier. Le retour, selon lui, ne peut être attribué à aucun des cinq sens, qui n’ont reçu aucune impression. Il faut donc admettre le fonctionnement d’un sens spécial. Ce sens relève automatiquement le chemin parcouru, même à l’insu de l’animal et pendant son sommeil; semblable à un appareil enregistreur, il s’est déclenché au moment où l’oiseau a été emporté du colombier et a agi mécaniquement jusqu’à l’heure du lâcher.
L’observation est des plus curieuses. Mais d’autres colombophiles prétendent que le pigeon laisse sur son passage une sorte d’effluve, une trace, et que c’est cette trace qu’il suit ensuite pour revenir sur ses pas.
À la vérité, saura-t-on jamais bien pourquoi et comment un pigeon retourne à son colombier ? Ce qui est acquis en tous cas, c’est que ce vaillant messager, qui rendait déjà tant de services à l’homme sur terre, peut lui en rendre aussi sur mer.
Le pigeon ci-haut est un Pigeon commun, qu’on ne peut dire voyageur, affirme l’épouse de mon ramoneur, elle-même aussi colombophile. Il ne revient pas sur les lieux d’un colombier qu’il habitait.