Que s’est-il vraiment passé lors du grand tremblement de terre de 1663 ?
Arriverons-nous un jour à vraiment connaître cet événement de l’histoire de la Nouvelle-France qu’on dit avoir duré plusieurs mois ? Il est étonnant de constater que tous les témoignages à son sujet, depuis le premier, celui de l’ursuline Marie de l’Incarnation, concordent. Et tout le monde décrit des scènes apocalyptiques, presqu’impossibles à croire. Voyez le propos d’Eugène Renault en 1889.
Dans L’Opinion publique du 7 avril 1881, le journaliste André-Napoléon Montpetit y va de sa version. Retrouvons-le dans l’estuaire du Saint-Laurent.
Au temps de M. de Montmagny [Charles Huault de Montmagny fut gouverneur de la Nouvelle-France de 1636 à 1648], les outardes, oies, canards et sarcelles étaient les commensaux ordinaires de nos battures et des îles, mais de joyeux artistes s’y donnaient aussi rendez-vous dans la belle saison, à l’heure du dessert. Pommes, prunes, raisins sauvages, cerises, amélanchiers, bluets, mûres, groseilles, fraises répandues à profusion dans ces îles en faisaient comme des corbeilles de fleurs et de fruits.
Durant le repas du jour, les convives grossiers de la nature étaient bruyants à l’extrême : on n’entendait que les cris confus et ahurissants de l’orgie, mais dès que la trompette du cygne avait sonné la Diane, la voix du rossignol charmait les échos des bois de ses plaintes ou du tendre récit de ses amours.
Le tremblement de terre de 1663 devait chasser pour jamais ces aimables bêtes de nos rives. Plus attachés au sol qui les avait vus naître et leur offrait une généreuse pâture, ou craignant peut-être de ne trouver d’asile ailleurs, vu leurs mœurs grossières, les grands palmipèdes résistèrent à la tourmente souterraine — mais tremblants de peur ils se tenaient silencieux devant les éclats de colère de la nature.
Ce cataclysme vit se renouveler les scènes du déluge — la terreur réunissait dans un même asile le loup-cervier et le lièvre, le serpent et la palombe, le hibou et la perdrix, tous n’obéissant qu’au seul instinct de la conservation.
Il y avait de quoi, car pendant plus de dix-huit mois, le sol de la Nouvelle-France fut pris de convulsions; l’enveloppe de la terre ébranlée, soulevée, craquait de toutes parts, les rochers arrachés de leur base roulaient dans les vallées; de vastes lacs desséchés en un clin d’œil s’épanchaient dans des abîmes inconnus, ne laissant après eux qu’une vaste plaine de sable.
Une main invisible enlevait d’un seul coup des forêts entières, comme on arrache une poignée d’herbe, pour les jeter au vent ou à la mer; des météores lumineux, en forme de globes ou de serpents sillonnaient l’air, sinistres messagers de la vengeance céleste.
Dans cette bacchanale des éléments, les hautes montagnes chancelaient comme des hommes ivres; le sol avait des hoquets effrayants, à la suite desquels il vomissait la lave et la flamme; le fleuve Saint-Laurent troublé, affolé, perdant sa route, aveuglé par la cendre et la boue, remontait vers sa source.
Pour expliquer ces phénomènes, les sauvages disaient que le tonnerre avait été surpris au milieu de son sommeil dans les profondeurs du ciel par des ennemis qui l’avaient enchaîné, puis enfermé au sein de la terre. Agitait-il ses chaînes, on entendait comme le bruit d’une armée de chars roulant à toute vitesse sur les pavés sonores, et, lorsque la croûte terrestre éclatait en laissant échapper des flammes par des crevasses béantes, ils prétendaient que le tonnerre dans sa fureur lançait ses carreaux foudroyants contre les murs de son cachot.
Cela tient du délire, dirait-on.