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Le Doré

andre napoleon montpetitJ’aime bien le journaliste André-Napoléon Montpetit (1840-1898). Quoiqu’il ait écrit dans plusieurs revues et journaux de son époque, il n’est guère passé à l’histoire. Mais à travers les nombreux écrits politiques et religieux qui paraissent dans les journaux, les articles aussi sur le temps qu’il fait ou la criminalité, on le voit tracer son chemin de manière originale et il me semble être le grand-père de la génération de naturalistes québécois des années 1930-1940.

Il publie, par exemple, de nombreux articles sur les poissons du Québec. Le voici ici dans le journal Le Canadien du 16 janvier 1885 sur le Doré ou Sandre d’Amérique, qu’il dit s’appeler Oka en algonquin.

De la même famille que le Sandre d’Europe, si abondant dans les eaux douces de la Russie d’Europe et de l’Autriche. Nous lui avons donné le nom vulgaire de Doré qu’il gardera quand même, en dépit de son congénère, le Sandre d’Europe et de la Dorée de la Méditerranée, — avec laquelle il n’a rien de commun.

Le Doré vit dans les eaux salées comme dans les eaux douces, mais il affectionne surtout ces dernières, dans lesquelles il prend tout son développement et les excellentes qualités comestibles qui le distinguent. C’est un poisson carnivore armé d’une mâchoire puissante garnie de dents fortes et aiguës. Il ne redoute que deux ennemis, le Brochet et le Maskinongé.

Le Doré est fusiforme, couvert de fines écailles, d’un brun sale sur le dos; ses flancs sont légèrement argentés; l’œil vitreux montre un iris d’un gris terne. Le Doré vit dans les eaux vives et profondes. Il ne guette pas sa proie comme l’Achigan et la Perche, il la poursuit en pleine eau, où, grâce à sa vigueur, il s’en saisit facilement. Son poids varie généralement de deux à cinq livres, mais on en voit quelquefois qui pèsent jusqu’à douze livres.

Le Doré habite les eaux du bassin du fleuve Saint-Laurent. Dans les lacs des Cantons de l’Est et des Laurentides, il atteint des proportions colossales. Il vit ordinairement dans les mêmes eaux que le Brochet, le Maskinongé et le Chevesne [il s’agirait du Meunier] qui leur sert de pâture à tous trois. Dans les lacs du Nord-Ouest, le Chevesne est remplacé par divers corégones.

Le Doré se pêche comme le Brochet, au vif, à la cuiller, au tue-diable, à la grenouille ou avec des quartiers de petits oiseaux; toute chair fraîche le trouve en appétit. Il est moins goulu que le Brochet. Au soleil levant, dans le cours de juillet, août et septembre, il mord franchement. Vers les quatre et cinq heures des après-midis calmes, il donnera encore mieux.

Dès que les voies ferrées en construction ou projetées dans les Laurentides, sur divers points, les lacs si nombreux de ce vaste territoire compris entre le lac Saint-Jean et le lac Témiscaming vont mettre à la portée de nos marchés de prodigieuses quantités de Dorés, de Brochets et de Maskinongés.

Nous y voyons la source d’une exploitation profitable à l’industrie, avantageuse aux consommateurs en général et d’un revenu assuré au gouvernement par l’établissement de ces lacs en ferme mis à l’enchère publique. Nous possédons un des plus riches viviers naturels du monde. À nous de savoir le protéger par des règlements judicieux et d’en activer la production par un aménagement raisonné.

 

La photographie d’André-Napoléon Montpetit est extraite du livre de Louyse de Bienville [Marie-Louise Marmette], Figures et paysages, Montréal, Beauchemin, 1931. Montpetit est le père de celui qu’on considère souvent comme le premier économiste québécois, Édouard Montpetit (1881-1954).

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