Poésie chinoise
Extraits de Anthologie de la poésie chinoise classique, sous la direction de Paul Demiéville (NRF, Poésie Gallimard, 2010).
Chanson de la femme fidèle
Vous saviez bien que j’avais un mari,
Et vous m’avez donné deux perles lumineuses…
Touchée de l’affection qui s’y exprime,
Je les ai cousues à ma blouse de soie rouge.
La demeure de ma famille, au parc impérial, se dresse altière;
Mon mari tient la hallebarde dans le palais de la Clarté brillante.
Je sais bien que votre dessein est pur comme un rayon venu du ciel;
Mais, au service d’un mari, j’ai juré d’être en la vie et la mort.
Je vous rends les perles brillantes; deux larmes, semblables, les accompagnent.
Pourquoi ne vous ai-je connu quand je n’avais pas encore de mari ?
Tchang Tsi (8e-9e siècle). Très estimé, dit-on, des poètes de son temps.
* * *
Sur l’air «Nostalgie de la contrée du seigneur»
Au printemps, me promenant
Dans les abricotiers, le vent sur ma tête a dispersé une pluie de pétales.
Dans quelle maison, près des champs, trouverai-je un jeune galant, bien élégant ?
En ce cas, je lui confierai ma personne,
Pour la vie;
Et même si, volage, un jour il me chassait,
Point ne regretterais
Wei Tchouang (vécut à la fin du 9e siècle).
* * *
Éclaircie
Une brèche s’est ouverte dans le ciel : au Sud-Ouest la surface du fleuve se nettoie;
Des traînées de brumes inertes rasent la petite plage.
Perchée sur un mur, une pie, sa robe encore humide, bavarde.
Par–delà les tours, le tonnerre n’a pas apaisé son courroux.
Profitant de cette légère fraîcheur, je m’octroie un somme paisible;
Puis cherche fiévreusement des phrases rares pour annoncer le beau temps revenu.
La splendeur de ce soir, personne ne la partage avec moi;
Je me couche et regarde la Voie Lactée : tout mon esprit en est illuminé.
Tch’en Yu-yi (1090-1138).
* * *
Les deux hameaux
Au hameau de l’Est, les brumes s’élèvent au sommet des collines;
Au hameau de l’Ouest, elles enserrent la montagne à mi-côte.
Au hameau de l’Ouest, bruit de cascade;
Au hameau de l’Est, tintement de breloques…
Face à face, séparées par des haies,
De part et d’autre, trois petites chaumières.
Soupe de cresson et brouet de blé,
On ne manque pas de s’inviter chaque jour.
Garçons et filles font une même famille;
Poules et chiens vont et viennent à leur gré.
«… Et moi aussi, je voudrais être votre voisin.
Si vous avez un champ de reste, n’en soyez pas avares !»
Lou Yeou (1125-1210).
* * *
Plaisirs champêtres
Je reste oisif; de m’en retourner peu me chaut.
Jour après jour grandit mon goût pour la vie champêtre.
Plus d’agent qui vienne m’apporter des rapports !
Ici, tel un Immortel vagabond, je cours après la poésie.
Tenant ma coupe plus brillante que le croissant de lune entre les pins,
Je m’assieds pour boire à la source au pied du rocher.
Avec un hôte qui connaît ma pensée,
Je confie à la brise quelques arpèges de cithare.
Yen Ts’an (début du 13e siècle).
Que de douceur, que de légèreté malgré les pensées profondes ! J’en suis chaque fois ébahie…
J’aime beaucoup cette littérature d’origine lointaine.
Elle berce.