Skip to content

Cap sur Saint-Pierre et Miquelon

henri felix de lamotheEn août 1887, les typographes québécois, membres de la Presse associée, s’organisent une visite aux îles de Saint-Pierre et Miquelon, archipel français dans l’Atlantique Nord. Ils gagnent d’abord la Nouvelle-Écosse par train et prennent le steamer Saint-Pierre à Halifax. Tous s’embarquent avec crainte pour s’être fait dire qu’ils vont peiner en mer si celle-ci est mauvaise.

Ceux qui ont déjà beaucoup voyagé, surtout ceux qui ont fait la traversée transatlantique, nous disent que notre navire est bien petit et qu’il devra nous rouler de la plus belle façon du monde, si la mer se chagrine tant soit peu. […] Si notre steamer est mal fait pour supporter la fureur des flots, en revanche on nous assure que notre capitaine est un des meilleurs et des plus braves marins. Cela nous rassure un peu. […]

En quittant Cow-Bay [île du Cap-Breton], nous reprenons la pleine mer et le capitaine nous assure que dans vingt-quatre heures en mer, nous serons aux îles St-Pierre et Miquelon.; vingt-quatre heures en mer, ballotés par les flots, c’est long, mais nous réussissons à tuer le temps en s’occupant, qui à chanter, qui à lire, qui à jouer aux cartes.

Nous ne devons pas oublier de mentionner un des incidents les plus agréables du voyage. À notre départ d’Halifax, à bord du St-Pierre, nous ne tardâmes pas à remarquer deux jeunes gens bien mis, à l’air distingué, parlant le vrai français; la connaissance se fit vite, car entre Français et Canadiens français, quelle distance y a-t-il ? Nous fûmes agréablement surpris d’apprendre que MM. Alfred Littaye et Ernest Jacquet étaient des citoyens de St-Pierre; ces deux messieurs furent pour nous tous d’agréables et d’utiles compagnons, non seulement tout le long du voyage, mais aussi à St-Pierre.

À notre arrivée à St-Pierre, jeudi matin, vers les quatre heures, nous avons l’honneur de faire connaissance avec M. Maurice Caperon, président du Conseil d’Appel. C’est un magistrat distingué, un homme de lettre et un grand ami du Canada.

Le débarquement ne put se faire que vers les six heures; aussitôt le pied à terre, on se rend à l’hôtel Joinville, où après une bonne heure à refaire notre toilette, et à faire disparaître un succulent déjeuner, nous allâmes présenter nos hommages au commandant des Îles, M. Henri de la Mothe.

Le commandant nous reçut avec la plus grande cordialité et nous fit part en termes chaleureux du plaisir qu’il éprouvait de voir les Français du Canada venir rendre visite aux Français de la vieille France, et il espérait que notre séjour aux Îles St-Pierre et Miquelon serait des plus agréables pour nous.

En effet, cela n’a pas manqué, nous pouvons l’assurer. Le temps que nous avons passé à St-Pierre ne fut qu’une série de fêtes.

Réception chez le commandant pic nic à Robinson, visite à la sècherie Dupont, à l’église catholique, promenade au Savoyard, dîner au mess des officiers, grand banquet au Cercle de l’Union par les citoyens de St-Pierre, punch offert à l’hôtel Joinville, tout cela dans l’espace de soixante heures; on avouera sans difficulté qu’il y avait de quoi s’occuper.

Les invitations arrivaient de tous côtés; nous fûmes reçus à bras ouverts par toute la population de la ville de St-Pierre.

La ville de St-Pierre compte près de cinq milles âmes. Bâtie au pied d’un rocher, sur les bords de la mer, elle semble sortir des flots. L’île n’est qu’un rocher aride; on ne peut y voir un seul arbre de quelque dimension.

Cette île sert d’entrepôt pour le commerce du poisson qui s’y fait sur une grande échelle. Dans le port, on y voit une quantité de bâtiments employés à la pêche ou au transport de la morue. Tous les jours de grand matin, les pêcheurs s’en vont en chaloupe, au large, pour pêcher la morue. Ils reviennent dans l’après-midi, ouvrent, nettoient les morues qu’ils ont prises dans la journée, et, tous les soirs ainsi, depuis le mois de mai jusqu’au mois d’octobre.

C’est un rude métier que celui de pêcheur et un métier qui présente beaucoup de danger. Souvent quand les pêcheurs sont au large, la tempête éclate et les pêcheurs, en se hâtant de rentrer au port, viennent se briser avec leurs embarcations sur les nombreux rochers qui bordent l’île.

La population de St-Pierre est composée de Basques, de Normands et de Bretons. Les premiers parlent entre eux un jargon qu’il nous est impossible de comprendre. Il y a un grand nombre de beaux magasins, tenus pour la plupart par de riches armateurs auxquels appartient en partie la flotte des bâtiments pêcheurs. Ces magasins servent à approvisionner les pêcheurs; on trouve de tout dans ces magasins.

Deux journaux sont publiés dans la ville, l’un, la Feuille Officielle, est l’organe officiel du gouvernement. Il sert à publier les arrêts et décrets du Conseil Local, et ceux du Gouvernement de la Métropole; l’autre, l’Indépendant, est l’organe républicain des Îles et s’efforce de refléter autant que possible l’opinion publique. […]

Un seul regret nous est resté, c’est celui d’avoir quitté trop vite les Îles St-Pierre et Miquelon. Il nous aurait fallu y demeurer pendant huit jours. Nous aurions eu le temps de mieux visiter. Après avoir séjourné durant soixante heures aux Îles, il nous fallait repartir. Le St-Pierre, qui transporte les malles, ne peut rester plus longtemps. […]

Nous avons promis d’y retourner et nous y retournerons certainement si Dieu nous prête vie.

 

La photographie d’Henri Félix de Lamothe, commandant puis gouverneur des îles Saint-Pierre et Miquelon, apparaît sur la page Wikipédia consacrée à cet archipel français dans l’Atlantique Nord.

Sur Saint-Pierre et Miquelon, voir le récit de ce missionnaire en 1880 et celui de Jean Allard en 1905. On pourra lire aussi la belle réponse de cette Miquelonnaise à une de nos bouteilles contenant un message que mon fils et moi avions mis à la mer, devant la ville de Québec, au milieu des années 1970.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS