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Voyage à Saint-Pierre

Jean Allard nous amène aux îles Saint-Pierre et Miquelon, possessions françaises en Amérique du Nord. Grâce à l’hebdomadaire montréalais L’Album universel, on s’y retrouve le 22 juillet 1905.

C’est de Sidney, Cap-Breton, que, récemment, je m’embarquai sur le vapeur français «Pro Patria» à destination des îles St Pierre et Miquelon. […] Le petit territoire français que j’allais atteindre, après vingt heures de traversée, est tout ce qui reste à la France de l’immense empire colonial qu’elle posséda jadis sur ce continent. […]

Il y aura bientôt quatre siècles que, sur les côtes de St Pierre et Miquelon, on pêche la morue. Celle-là même qu’appelaient «bacallais» nos ancêtres canadiens, du nom donné par les Espagnols à tous les sujets de la grande famille des gades.

J’arrivais à St Pierre à sept heures du matin. Le ciel était clair et il soufflait une forte brise; un cyclone, diraient les continentaux, un petit zéphyr, s’exclamaient les St Pierrois, habitués aux grandes rafales. À tribord du «ProPatria», j’apercevais une longue traînée de terre que découvrait le brouillard qui se dissipait. C’était la grande Miquelon, et, au sud de cette dernière, à peine visible, se trouvait Langlade. À l’arrière du navire, étaient l’île aux Chiens et St Pierre.

Je ne vois aucune maison, mais le navire, ayant contourné un rocher, le paysage change; à l’avant, je contemple St-Pierre toute enveloppée d’un brillant soleil. Le tricolore français flotte dans le port, aux mâts d’une grande quantité de voiliers. On n’aperçoit aucune verdure, aucun champ, aucun arbre. Comme j’étais l’unique passager à bord, nous n’accostons pas, et on me débarque dans une chaloupe.

Sur les quais des pêcheurs arrangent leurs filets.

Ma première impression de St Pierre est agréable. […] Ici, pas d’immenses bâtisses; pas de tramways; pas de trottoirs; pas d’hôtels tels que nous l’entendons au Canada; pas de journaux quotidiens (deux feuilles hebdomadaires seulement, La Vigie et le Réveil St Pierrais), pas de théâtre, rien qui rappelle l’Amérique, sinon quelques lampes électriques.

Les rues qui aident à gravir une colline sont longues et étroites; elles sont bordées de maisons basses et aux toits très inclinés. Des chiens y tirent de petites charrettes que surveillent des insulaires, dont le chef est recouvert du béret basque et qui portent blouse et sabots.

Au hasard, le promeneur rencontre de lourds véhicules auxquels sont attelés des bœufs, — il n’y a pourtant pas de fermes — il rencontre aussi des prêtres en soutane et coiffés de grands chapeaux tels qu’ils en portent à Rome; mais, surtout, le visiteur coudoie des pêcheurs en tricot et chaussés d’énormes bottes. En vérité, on dirait d’un décor de théâtre ! […]

À St Pierre, on trouve un grand nombre de cafés. Il y en a dans toutes les rues. D’aucuns, tels que le Café du Midi, le Café Joinville et le Café de France, ont quelque prétention et s’élèvent presque au rang d’hôtels. Tandis que d’autres sont de simples cabarets à matelots.

Je l’ai déjà dit, chaque année, 10,000 marins, quelques-uns Basques, mais la plupart Bretons, viennent de la mère-patrie, faire la pêche dans le voisinage de St Pierre et Miquelon. Le plus grand nombre de ces hardis pêcheurs appartiennent aux ports de St Malo, Granville, Fécamp, Cancale, etc. […]

Ici, toutes les rues mènent au quai de la Roncière, qui est tout à la fois un arc, un square et une bourse en plein air. C’est là, auprès d’une fontaine tarie, que se transactent maintes affaires locales, telles qu’achat de milliers de quintaux de morue, engagement d’équipages, nolis de navires, etc. De ce quai, et de près, on peut jouir d’une bonne vue des maisons de la ville. Mais, pour avoir une idée complète de St Pierre, il faut monter au sommet de la colline sur les flancs de laquelle elle est bâtie. […]

À St Pierre, on respire de la tranquillité et du repos. Dans la petite ville dont je parle, et sur l’emplacement de laquelle il y a quatre cents ans de hardis navigateurs trouvèrent un refuge, les ambitions, les luttes, les convoitises de l’univers sont inconnues ou à peu près. Et, après tout, pourquoi les St Pierrais se soucieraient-ils du monde, qui, lui, se soucie si peu d’eux ? […]

Parmi les particularités qui étonnent à St Pierre, le crieur public et les gendarmes ne sont pas les moindres. Le premier, tout comme au moyen-âge, par un roulement de tambour et des avis verbaux, annonce, à 9 heures du soir, que le couvre-feu a sonné, et que toutes les lumières doivent être éteintes dans les cafés et les cabarets qui ne sont pas de première classe; les derniers, non sans dignité, ni zèle, veillent à la paix publique, dans une ville où les batailles de matelots ne peuvent être que communes.

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