Réflexions sur les épouvantails (premier texte de deux)
Jacques Lacarrière a traversé la France en diagonale, des Vosges au pays des Cathares. Mille kilomètres à pied. Je vous présentais l’ouvrage, il y a peu.
À la lecture, j’avais beaucoup aimé ce livre, et l’ai conservé depuis. Un ouvrage «fou», comme il s’en est fait de tous types durant les années ’70.
À ce jour, les plus belles lignes sur les épouvantails sont pour moi de Lacarrière, dans ce livre. Extraits aujourd’hui et demain.
Cet épouvantail aperçu dans un champ, juste avant le village de Lorcières [Nous sommes en Auvergne, dans le Cantal, un village d’un peu moins de 300 habitants], fixé sur une croix, avec ses haillons déchirés, ses loques suppliciées par le vent, sa tête bourrée de pailles dont les fétus s’envolaient dans les airs comme si la bourrasque épluchait peu à peu son cerveau. Un écorché de vent (comme, sur les planches d’anatomie des anciens temps, ces figures d’hommes, en apparence bien vivants, les yeux vifs tournés vers nous, mais le ventre ouvert, le dos déchiré, la peau arrachée pour montrer muscles et viscères, exhibant à nos yeux — nous, les voyeurs des chambres intimes de leur corps — leurs entrailles vivantes), tel était cet épouvantail.
Et le soir, sur la route du Malzieu [une commune dans le département de la Lozère en région Languedoc-Roussillon], l’apparition de cette forme noire, au milieu de la neige, dont les habits battaient au vent, eux aussi, épouvantail en marche montant vers moi. Pénitent vert des chemins blancs.
Je ne fabule pas en écrivant ceci : je dis que cette journée, commencée dans la nuit pluvieuse de Saint-Flour s’est poursuivie et terminée sous le signe de ces épouvantails en détresse, de ces formes humaines, écorchées ou cinglées par le vent, habitantes du pays des tempêtes, veilleurs d’un monde à la fois fantasque et tragique.
Fantasque et tragique, ces deux termes s’appliquent exactement à l’univers des épouvantails. J’en ai rencontré (j’allais dire : croisé) quelques-uns au cours de ce voyage. Les épouvantails disparaissent peu à peu de nos champs comme les ombres du passé. Voilà longtemps, bien sûr, qu’il n’épouvantent plus personne et que, pour faire peur aux oiseaux, on a trouvé des moyens plus modernes et plus efficaces : feuilles d’aluminium résonnant dans le vent (que le Catalogue de la Manufacture d’Armes et Cycles de Saint-Étienne appelle : effaroucheurs d’oiseaux. Se placent au-dessus des plates-bandes ou se suspendent aux arbres. Long. 10 cm. Vibrent et crépitent au moindre vent), têtes de chat «en tôle noire vernie, gros yeux en verre reflétant la lumière ».
À côté de ces techniques éprouvées, les épouvantails ont quelque chose de désuet, comme ces automates de salon des siècles précédents. Pourtant, ils sont les derniers habitants villageois du grand pays surréaliste.
La suite : demain.
L’épouvantail ci-haut fut photographié à Lyster, celui ci-bas à Saint-Narcisse-de-Beaurivage.
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