Skip to content

Jacques Lacarrière, sur la route

Connaissez-vous l’écrivain Jacques Laccarière (1925-2005) ? Un sage, grand voyageur, fou de la Grèce, ancienne et contemporaine. Je l’aime beaucoup. Gueule de beau jeune homme au départ, il avait la tête de bon Bourguignon plus tard.

J’ai l’embarras du choix pour les textes de ce cher Lacarrière. Mais commençons par un extrait de Chemin faisant… publié chez Fayard en 1974. Des Vosges au pays des Cathares, il traverse la France en diagonale, en marchant.

Rencontres de belles dames, demandez-vous ? Bien peu. Mais je lui laisse la parole.

J’ai toujours aimé ces amours nocturnes et champêtres, consommés en divers pays (en Grèce surtout, évidemment) mais peu souvent, hélas ! dans ce voyage en France. Et pourtant, certains soirs, sur les chemins encore chauds de la chaleur du jour, parfumés de l’odeur des foins mûrs, cela seul manquait à mon bonheur.

À deux reprises, ces brèves rencontres se sont quand même produites — l’une dans un hôtel l’autre dans une remise où s’entassait du seigle et picoraient des poules. Dans le long célibat du voyage, elles ont été deux parenthèses folâtres et vite refermées. C’est là qu’on saisit au mieux combien la marche fait de vous un éternel passant pressé. Ne pas s’attarder — même dans ces délices inattendus et pas toujours renouvelables — se garder pour cette Ariane imaginaire qui vous attend au lointain des Corbières (puisque rester, demeurer dans l’improvisation des choses, tout connaître y compris les sexes et les cœurs est refusé à celui qui marche sans cesse) voilà l’un des commandements, l’un des messages des chemins. Prendre ou donner, mais ne pas demeurer.

Éros ne sera lui aussi qu’un de ces mille visages fugitifs entrevus comme aux vitres d’un train défilant lentement. Le hasard seul décide — qu’ici, il ne faut pas forcer — et qui fait qu’on arrive à l’instant même où secrètement on était attendu. Car il s’agit ici de tendresse, non de passion, bien sûr. De tendresse et d’attente inavouée qui, pour un soir, élisent votre visage, votre parole, votre passage parce qu’il est passage.

J’ai gardé de ces deux rencontres le souvenir des draps fleuris mis pour la circonstance et de l’odeur des seigles mûrs dans le bruit des poules qui picorent, le souvenir de deux visages penchés vers moi, qui, jamais, ne sauront mon nom.

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS