« À l’été »
Je répète et répète que j’aime beaucoup le poète Albert Lozeau. Et je suis heureux de le voir apparaître dans certains journaux de son temps. Échappé, comme cela, un jour de semaine. Ici, nous sommes un samedi, le 26 juin 1909. Dans le journal Le Canadien.
À l’été
Bel été mûrisseur des fruits délicieux,
Qui, sur l’or des rayons brûlants, descends des cieux
Jaunir les blés du monde,
Sois propice aux moissons qui frémissent au loin,
Et que ton vent chargé d’une odeur de sainfoin
Leur porte et leur partage l’onde.
Aux troupeaux somnolents qui ruminent, couchés
À la lisère d’ombre où des arbres penchés
Adoucissent l’heure accablante,
Ménage l’herbe tendre et fais qu’à l’abreuvoir
Abonde l’eau luisante, où se mire le soir
La grande lune bleue et lente.
Dispense également ta chaleur aux champs blonds;
Que la gerbe fourmille au gré des bras féconds.,
Nus sous l’ardent soleil qui brûle;
Que tous les paysans qui travaillent, halés
S’en retournent joyeux, au repos appelés,
Chantant l’air dans le crépuscule.
Été, sois bon surtout aux hommes. Garde-leur,
Pour que leur sang soit jeune et bouillant, ta chaleur :
Épargne-leur tes folles fièvres,
Afin qu’ils n’aillent pas, pleurant leurs vains efforts,
Irrésistiblement se brûler âme et corps
Aux feux mortels des belles lèvres.
Albert Lozeau