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Quel texte !

Parfois les journaux d‘autrefois nous jettent par terre. Sans prévenir, entre des colonnes et des colonnes de débat politique, ils échappent, étonnamment, un poème. Et, à l’occasion, il s’en trouve de magnifiques. Qui ont fort bien traversé le temps.

Voici un très beau chant d’amour, vraiment digne d’apparaître dans une anthologie des mots d’amour somptueux. Il est signé d’Adolphe Hardy qui l’a intitulé Retraite. Le journal La Patrie du 6 février 1892 le publie.

 

 

 

RETRAITE

Écoute. Ce serait là, non loin du chemin,
Une maison rustique, au fond d’un grand jardin,
Blanche, avec une vigne accrochée aux persiennes,
Et basse, à la façon des demeures anciennes.
Ni château, ni chaumière, — où je puisse, à midi,
À l’ombre d’un berceau de verdure alourdi,
Respirer, près de toi, la bonne odeur des roses,
Un logis fort coquet d’ailleurs, sans trop de choses,
Où l’on se sentirait à l’aise en arrivant.
On aurait un joli boudoir sur le devant;
Puis la salle à manger, très simple, en boiseries,
Avec un vieux bahut plein d’assiettes fleuries.
Derrière, la terrasse, au pied d’un gros noyer
Où des milliers d’oiseaux, n’ayant pas de loyer,
Viendraient tenir ménage, en bohèmes fantasques,
Et, dès l’aube à la nuit, nous raconter leurs frasques.
Au fond du corridor, l’escalier grimperait,
Sous des fleurs, à l’étage unique où l’on verrait,
D’un frais petit salon de bambous et de perse,
Les amoureux chercher les chemins de traverse,
C’est là qu’on se tiendrait d’ordinaire, l’été.
Et que les bons amis viendraient prendre le thé
Sur le balconnet suisse au tomber de la brune.
Lors, ce serait charmant de regarder la lune
Pousser sa corne jaune entre deux toits, au loin,
Tandis qu’au piano, reculé dans un coin,
Tes jolis doigts d’enfant, doux et mélancoliques,
Feraient errer pour nous de très tendres musiques.
Et l’on n’aurait plus d’heure, et notre vieux coucou
Aurait beau répéter douze fois, coup à coup,
Qu’il se fait tard, qu’il est minuit, que le temps passe,
On ne se quitterait que quand tu serais lasse.
Même, si tu voulais, l’on pourrait quelquefois
Les reconduire un brin et rentrer par les bois.
Je ne sais rien d’exquis comme ces promenades
Où les bruns rossignols vous font des sérénades
Pour qu’on s’embrasse à l’aise en s’arrêtant un peu
Si bien qu’en retrouvant notre asile au seuil bleu,
Nous nous dirions, tout bas, en fermant la fenêtre,
Que cette vie à deux est le bonheur peut-être,
Et que, tant que l’amour est là pour nous charmer,
Il n’est rien de meilleur, ici-bas, que d’aimer.

L’auteur de ce bien beau texte me semble être ce Adolphe Hardy (1868-1954), poète et journaliste belge.

Et ce texte d’Adolphe Hardy s’apparente au fort beau texte d’Yvan Tourgueniev, pur bonheur lui aussi.

4 commentaires Publier un commentaire
  1. Léna Desbois #

    Oui, très beau!
    Merci, cher Jean.
    Dans ce monde fou, il nous reste encore cette « Retraite »…
    J’y crois avec vous.

    22 février 2014
  2. Jean Provencher #

    Merci infiniment, chère Léna ! Un bonheur de vous lire ! Je trouve ce texte d’un grand raffinement, d’une grande tendresse. Oui, absolument « Retraite ».

    22 février 2014
  3. Mario Gervais #

    J’abonde..!

    Non mais…! Quelle prose…! Quelle structure…! Quels enjeux…!

    Et comment dire… quelle première phrase : « Écoute. »… !!! En espérant que l’interlocuteur ait écouté..!

    Merci à vous quatre : Mme Desbois et M. Provencher… ainsi qu’à Messieurs Hardy et Tourgueniev…

    Mario

    25 février 2014
  4. Jean Provencher #

    Ah, merci, merci, cher Mario. C’est un fort beau texte, en effet !

    25 février 2014

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