«Le 2 novembre»
Pour novembre, le mois des morts, L’Étoile du Nord (Joliette) du 8 novembre 1884 propose ce poème non signé.
J’allais par le sentier de mousse,
J’allais, c’était la nuit des morts,
Et les vents devenus moins forts
Laissaient parler la cloche douce;
Je m’arrêtai, car j’entendis
Au détour même de l’allée,
Une voix tremblante et voilée
Qui murmurait : De profundis
Clamavi ad te Domine, Domine exaudi vocem meam.
Quelle est cette voix ? Je frissonne;
Mon œil cherche de toutes parts,
Mais rien ne s’offre à mes regards :
J’ai beau me détourner, — personne !
Je repris ma route en rêvant,
Le sein plus froid, le front plus blême,
Et mes deux lèvres d’elles-mêmes
Prononçaient le verset suivant :
Fiant aures tuae intendentes in vocem deprecianionis meae.
J’achève, et la voix continue
Par les mots qui viennent après :
Me voilà donc en marchant auprès
D’une voyageuse inconnue;
Quand la voix sourde finissait
Sur un ton que je ne peux rendre,
Ma voix se hâtait de reprendre
Le psaume à son autre verset.
Et puis, à travers le feuillage,
Je voyais une étoile d’or,
Dont le regard plus doux encore
Semblait caresser mon visage.
C’était dans l’espace éternel,
Le seul rayon qui vint à l’âme,
La seule pure et blanche flamme
Qui peuplât les déserts du ciel.
Personne au sentier solitaire :
Le vent seul y soufflait parfois,
Et la chevelure de bois
Flottait avec grâce et mystère;
Les halliers étaient pleins d’effroi,
Comme ils le sont durant l’automne :
Personne dans les champs, personne
Que ce qui parlait près de moi.
Et tout en gravissant la côte,
Le psaume avançait vers sa fin;
Et je frissonnais en chemin,
Car la voix devenait plus haute :
Et par delà les bois touffus
Qu’une brise légère penche,
J’apercevais l’étoile blanche
Qui scintillait de plus en plus.
Enfin, au bout de la clairière,
À l’endroit même où les ormeaux
Sont plus dépouillés de rameaux,
J’arrive à la strophe dernière;
C’était près d’un tertre jauni :
La strophe est à peine achevée,
Qu’un cri part : «Ah, je suis sauvée !
«Mon rédempteur, soyez béni !»
Et tout rentra dans le silence,
Les hommes comme les esprits :
Et moi, dans mon cœur je compris
Que c’était une âme en souffrance.
Je m’éloignai, mes pas moins lourds
Ne faisaient plus sonner la terre;
J’allais disant une prière,
Et la cloche tintait toujours.