Ça n’a de cesse
Dans ma longue quête à travers la presse ancienne, je prends plaisir à traquer ce qui est pour moi la plus belle chanson québécoise. Faut-il rappeler qu’Un Canadien errant est d’Antoine Gérin-Lajoie, composée en 1842 alors qu’il n’a que 18 ans, ému par le sort des 58 Patriotes exilés aux antipodes pour leur participation à la rébellion de 1837-1838.
Et j’ignorais qu’en 1900, on rappelait souvent la présence de cette chanson magnifique. Sur ce site, en ce moment, le 5 octobre 2013, sept articles l’évoquent pour une raison ou une autre. En voici un huitième.
En 1888, l’écrivain, journaliste, militaire et homme politique Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice (1844-1897), grand voyageur, traverse cette fois-ci la France. Une fois la semaine, il fait parvenir au quotidien de Québec, Le Canadien, le récit de sa route. À la mi-octobre (le journal publie son texte le 22), le voici à Marseille. Il voyage avec un ami militaire originaire du sud de la France, travaillant en Afrique. Le temps est bon. Et — ô surprise — voici que surgit Un Canadien errant.
La promenade la plus féérique du monde est celle du Prado et de la Corniche. Vous la faites en voiture. La mer est à deux pas de vous, elle déferle. Les embruns viennent jusque sur votre veston. Au loin se perd l’immensité; tout auprès sont les rochers sévères du port, et sur votre tête semble dormir le beau, le clair, le bienfaisant soleil de Provence. Dans cette atmosphère tiède, embaumée, au bruit monotone du ressac, l’horloge du temps semble être arrêtée et la vie paraît être immobile. Pourtant elle s’allonge, elle décroît avec le soleil et la nuit vous surprend avec un pas de plus vers la tombe.
Oui ! les jours sont courts. Les prophètes l’ont dit; et chacun de nous le constate lui-même. Mais toute rapide que soit l’existence, je la recommencerais avec ses peines, avec ses joies, s’il m’était permis de causer comme je le fais ce soir sur la terrasse de la Réserve, chez Rubion. Ici, vous vivez d’air, d’espace. La mer, l’infini, l’indéfini vous entourent. On grignote un fruit, on boit un doigt de vieux vin, on parle du passé, de l’avenir. Le flot est en bas; il babille tout autant que vous. On tend la main, comme de grands enfants, pour apprendre comment le vent se fait. On guette la lune qui joue à cache-cache avec les nuages. Au pied des terrasses, la mer vient se plaindre doucement de ces abandons de sa compagne nocturne. Elle pleure sur les rochers, pendant que partout passe un vent d’amour et de poésie.
Tout à coup, la voix de mon compagnon, un officier d’Afrique, rompt le silence. Il chante «À la claire fontaine», «V’là le bon vent !», «Un Canadien errant». Il a voyagé au Canada et se souvient.
Je me sens tout ému. Chose étrange : je regarde — sans qu’il m’observe — ce fils du soleil, ce provençal, cet enfant du gai savoir, qui, il y a maintenant 15 ans, a repris le fil mystérieux tenu jadis par Jacques Cartier et par Champlain. Il a voulu, lui aussi, faire un voyage à la Nouvelle-France, et le souvenir de ce paradis le poursuit encore à cette heure. La mer de Provence lui chante à son tour le Canada; elle lui raconte les dangers, les sacrifices, les actes de dévouement, d’abnégation de ceux qui furent les ancêtres, et mon camarade traduit ce retour vers le passé par le vieux refrain
Va dire à mes amis
Que je me souviens d’eux.
Et nos cœurs battent la mesure; ils vibrent à l’unisson.
Que dire après ces lignes ?
Simplement rappeler qu’il y a deux semaines seulement, un professeur en histoire d’un cégep de Québec déclarait à la radio d’État, avec fermeté, que l’histoire du Québec n’intéressait pas les étudiantes, les étudiants.
Allez, dépêchons-nous d’oublier ce prof au bord de la retraite.
Place aux jeunes. Vivement.
Qui d’entre eux, un jour, nous offrira enfin la grande histoire d’Un Canadien errant ?
La photographie d’Henri-Edmond Faucher de Saint-Maurice prise par Jules-Ernest Livernois vers 1880 provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds L’Action catholique, Dossiers de documentation du journal, Documents iconographiques, cote P428, S3, SS1, D44, P123.
Toujours cette chanson qui me trotte dans la tête!
Elle est tellement belle. À la fois simple et émouvante.