Le voyage du Patriote Léandre Ducharme exilé en Australie
Le 12 septembre 1890, La Tribune, de Saint-Hyacinthe, est heureuse d’annoncer qu’elle a retrouvé un des Patriotes exilés en Australie en 1839. Léandre Ducharme vécut six ans aux antipodes et y a tenu un journal détaillé de son voyage. Reportage.
M. Ducharme était un homme d’excellente éducation, le style de ce journal est extrêmement clair et élégant, et le manuscrit distinct, malgré qu’il soit vieux d’un demi-siècle. Ce journal ne parle pas de la vie de l’auteur avant l’année 1839. Nous dirons qu’il est né à Châteauguay et que ses parents venaient de Lachine où la famille avait demeuré pendant plusieurs générations. Il commença de bonne heure l’étude du droit et, lorsque le soulèvement éclata [en 1837], il était déjà notaire pratiquant à Châteauguay, quoiqu’âgé de dix-neuf ans seulement.
On peut dire que, depuis son enfance, il s’était intéressé à la politique canadienne. Tous les patriotes du temps savaient fort bien ce qu’ils voulaient lorsqu’ils prirent les armes à la voix de [Louis-Joseph] Papineau. Le Boulangisme, dit M. Ducharme, n’existait pas alors. Les Canadiens savaient bien que Papineau n’était pas un aventurier militaire, mais un chef honnête qui voulait délivrer le Canada de la tyrannie insupportable de Downing Street. Le journal cependant traite peu des causes du soulèvement, laissant aux historiens le soin de les apprécier, et commence pas ces mots : «Cinquante d’entre nous ayant été condamnés à l’exil, on nous ordonna de nous tenir prêts à partir le 25 septembre [1839]».
Ils quittèrent le port de Québec, le premier octobre, sur le vaisseau de guerre Buffalo. C’était un voilier d’ancienne mode, alors assez rapide. Au lieu de gagner vers le sud-est, ils furent jetés sur la côte du Brésil et entrèrent au port de Rio de Janeiro le jour même du couronnement du jeune empereur Dom Pedro, tout récemment déposé. L’ex-empereur était alors brillant de jeunesse et de gloire; il est maintenant vieux, affaibli par l’âge, exilé du pays qu’il a si longtemps gouverné.
M. Ducharme était un exilé; emprisonné dans un voilier battu par la tempête. Aujourd’hui, il jouit de sa vigoureuse vieillesse au sein de sa vigoureuse famille. Il a été témoin du triomphe de la cause patriotique à laquelle il avait dévoué sa jeunesse et pour laquelle il a tant souffert.
À bord du Buffalo, un des meilleurs amis des prisonniers fut M. Black de la ville de Québec, qui avait obtenu un passage en Australie en qualité de négociant. À Rio de Janeiro, M. Black s’est offert avec bienveillance d’acheter des fruits pour les exilés qui ne pouvaient débarquer. Ils lui remirent le peu d’argent dont ils pouvaient disposer à cette fin et eurent la satisfaction de le voir marchander vigoureusement avec les vendeurs, économisant leur argent autant que possible. Ce n’est là qu’un des nombreux services rendus par ce négociant bienveillant, et M. Ducharme en parle encore avec la plus vive gratitude. Le capitaine et l’équipage les traitaient aussi avec considération, non pas comme des criminels mais comme des proscrits politiques.
Au commencement néanmoins, on les surveillait de près. Et, une nuit, la sentinelle, fit rapport qu’ils essayaient d’incendier le navire. Plusieurs officiers accoururent à l’endroit où les prisonniers se trouvaient tous dans une même pièce longue de soixante pieds, et regardant par des soupiraux découvrirent que le prétendu feu n’était que la lumière de la lune entrant dans l’écoutille. Le capitaine leur fit part de la fausse alerte, ce qui provoqua une hilarité générale et il accepta leur parole d’honneur qu’ils ne tenteraient rien contre le vaisseau.
La suite du voyage jusqu’à la côte d’Afrique se passa sans accident, mais en doublant le cap de Bonne-Espérance, le Buffalo essuya une violente tempête et il fut impossible d’arrêter au Cap pour prendre de l’eau et des provisions. Le reste du voyage dans les mers du sud ne fut qu’une longue suite des plus pénibles privations.
En traversant l’équateur, ils avaient de l’eau en abondance et à Rio de Janeiro ils s’étaient procuré des bananes et beaucoup d’autres fruits, mais lorsqu’ils passèrent le cap de Bonne-Espérance l’eau étant devenue tellement rare qu’ils étaient obligés de tendre des voiles pour recueillir de l’eau de pluie.
Ils furent seize mois et demi en mer avant d’atteindre Melbourne, dans la colonie de Victoria. À ce port, M. Ducharme dit que les prisonniers furent malades, tant ils désiraient descendre à terre. Mais le capitaine ne put leur permettre de débarquer, et quoique la distance jusqu’à Sydney, le but final du voyage, fut courte, elle leur parut bien longue.
Étant enfin arrivés à Sydney, il leur fallut six jours avant que les formalités nécessaires à leur mise en liberté fussent accomplies. «Six éternités» dit le journal de M. Ducharme. Le gouverneur de la colonie arriva enfin de sa résidence à Paramatta, alors la capitale de la Nouvelle-Galles du Sud et les exilés lui présentèrent une adresse si bien composée — car ils étaient pour la plupart des hommes de profession — que le gouverneur fut très impressionné et s’intéressa à eux comme s’ils eussent été visiteurs et non pas expatriés. Mais leur éducation même souleva contre eux le préjugé populaire. La populace regardait leur savoir comme étant la cause de tout le mal et on les surveillait de près de peur qu’ils ne fomentassent une nouvelle révolte.
M. Ducharme ne consacre que peu d’espace à leurs six années de séjour en Australie. Il dit seulement qu’ils s’occupèrent à divers travaux moyennant douze chelins par jour. On ne leur payait, cependant, que quelques sous comptant, juste assez pour acheter les choses nécessaires à la vie, et ceci, parce qu’on les regardait encore comme hors la loi.
Lorsqu’enfin arriva le pardon et qu’ils furent libres de revenir au Canada, ils réclamèrent les arrérages de six ans, mais leurs patrons répudièrent la dette, sachant que l’argent ne pourrait être recouvré qu’après de longs procès. Les exilés, trouvant qu’ils en avaient assez de la terre étrangère, abandonnèrent tout pour revenir au vieux Québec.
Le journal ne parle pas du voyage de retour, mais il dit qu’à leur arrivée à l’Assomption, une foule d’amis dans cinquante voitures vinrent leur souhaiter la bienvenue. Tous les cinquante-huit avaient survécu à l’épreuve; pendant plusieurs semaines après leur retour ce fut une réjouissance générale dans tout le Bas-Canada.
L’auteur de l’article laisse entendre que tous les Patriotes furent de retour d’Australie. À ma connaissance, l’un d’entre eux serait demeuré là-bas.
On trouvera cette illustration d’un Patriote par Henri Julien à l’adresse suivante.
Combien de nous sommes au courant de la cette page d’Histoire?
Cinquante Patriotes condamnés à l’exil. Seize mois et demi de voyage en bateau.
C’est quand même pas rien.
Vous avez tout à fait raison, chère Belle Acadienne. Bien qu’il y eut au fil du temps quelques publications qui mentionnaient cet exil, nous ne le savons pas assez.
Ce journal-ci fut publié par Réédition-Québec en 1968, puis aux Éditions du Jour en 1973. J’avais utilisé la page couverture du livre en guise d’illustration voilà un mois, sans parler de ce livre cependant : https://jeanprovencher.com/2013/08/21/incroyable/.
Ce que j’aime ici, c’est la nouvelle de l’existence de ce journal annoncée dans La Tribune (de Saint-Hyacinthe) du 12 septembre 1890. À ma connaissance, c’est en 1890 qu’on a appris la chose.
Joseph Marceau est resté en Australie où il s’est marié. Louis Bourdon a réussi à s’échapper et à revenir au pays. Gabriel Ignace Chèvrefils et Louis Dumouchel sont décédés en Australie. Une histoire fascinante que celle des Patriotes.
Ô merci infiniment à vous, chère Vicky, de tous ces détails sur les nôtres là-bas.
http://www.youtube.com/watch?v=Vk_U_EBMW2A
Merci beaucoup, Monsieur Gaudreault.
M. Provencher merci d’être là!!
J’aimerais bien faire la lecture du journal de ce patriote tel que je l’ai fait pour le patriote François-Maurice Lepailleur beau frère de Joseph-Narcisse Cardinal pendu comme chevalier DeLormier.
Vous seriez bien aimable de me suggérer l’endroit (bibliothèque ou librairie) où je peux obtenir ce journal.
Merci à l’avance et à bientôt!!
Merci à vous, merci à vous.
L’ouvrage fut publié aux Éditions du Jour (Montréal) en 1974. Je suis certain qu’il doit être facile de le trouver dans toute bonne bibliothèque de ville. Ou encore sur internet, genre Abebooks. Ou encore chez les bouquinistes, les vendeurs de livres usagés. Il faudrait fouiller alors.
Hello, and THANKYOU for this article. Leondre DuCharme is my 3rd great-grandfather and I have done a lot of research on him. A very interesting fact is, that when he was being held in the Montreal prison, there were two women that visited him and his companions. They made sure they had food, were being treated properly and delivered letters to them. After a while one of the women became a nun and her name is now Blessed Emilee. She had given him a Holy Card and he kept it with him while he was in Australia. When he returned to Canada, he gave the card back to the church and it is kept in their museum. The other woman was her cousin Agatha. Agatha’s husband had been killed in the War of 1812, December 19th 1813 at The Attack on Fort Niagara. I am a tour guide there and have been telling the story of the attack and the British soldiers forcing their way into the fort, never knowing that there I had a real connection to the story. Life is interesting. Sharon W.
Merci beaucoup, chère Sharon. Toutes ces informations ajoutent à la riche biographie de votre arrière-arrière-grand’père.
Dites, est-ce que vous avez fait votre arbre généalogique ? Je vous demande cela, car je sais qu’un certain nombre de Ducharme, comme les Fleurant et les Belleville, ont pour ancêtre commun en Amérique le mien précisément, Sébastien Provencher. Quelque part par la suite, ils ont pris le nom de Ducharme ou de Fleurant.
Jean: Yes, I have my family tree. Starting with my grandfather;
Edward DuCharme & Cora Chase
Alfred DuCharme & Angelique Laurent (m. 1879)
Leandre DuCharme & M. Odile Pelletier
Louis DuCharme (b.1776) & Julie Roy
Jean-Marie DuCharme (m. 1761) & Marie Roy, dit Portelance
Joseph DuCharme (b. 1688) & Marie-Therese Trottier
Louis DuCharme (b. 1660) & Marie-Anne Maillet
Fiacre DuCharme (b. 1628) & Marie Pacrau
Toussaint DuCharme (Parie, France) & Jacques DeRoy
The name Provencher seems to be a name that I have run accross, but nothing I can find. The name (DuCharme)has been borrowed in the past, also by Charrons’.
Super. Merci infiniment, chère Sharon. Vous nous faites partager tout l’arbre généalogique de Léandre. Mais je voulais vous dire qu’on ne sait pas le nombre exact de Provencher qui ont changé leur nom pour Ducharme. Donc jamais, dans votre lignée, il n’y eut à un moment donné, au Canada, de ce côté-ci de l’Atlantique, de Ducharme ayant Sébastien Provencher comme ancêtre. Merci encore, chère Sharon.
Le Journal d’un exilé politique aux terres australes de Louis Léandre Ducharme est disponible en version numérisée ici :
http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=nnc1.cu54378869.
C’est une lecture fascinante.
Merci beaucoup, Monsieur Petit.