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Vivre avec un papillon

Dans Le Monde illustré du 8 février 1896, Léon Ledieu rapporte cette histoire.

Le mot papillonner n’est pas en grande faveur parmi les amoureux, et le papillon n’a pas la réputation du lierre, de mourir où il s’attache, mais voici que l’on vient de découvrir que l’amant des fleurs est cruellement calomnié.

Le papillon s’apprivoise, témoin cette anecdote racontée par une jeune Américaine :

J’avais, dit-elle, trouvé dans mon jardin un magnifique papillon, que le froid avait entièrement engourdi. Je l’emportai dans ma chambre et le mis dans une boîte où, deux heures après, il avait repris ses sens. Voulant achever de lui sauver la vie, je lui plongeai les antennes [un papillon ne boit pas avec ses antennes, celles-ci sont utilisées pour l’odorat] dans une dissolution sirupeuse d’eau et de sucre. Pendant trois jours, je continuai ce régime, et, le quatrième jour, l’insecte vint de lui-même se poser sur ma main et sucer sans mon aide la liqueur vivifiante. Dès ce moment, nous fûmes liés, mon papillon et moi, d’une étroite amitié.

Pour lui être agréable, je plantai des fleurs tout autour de la chambre où il habitait et, dès qu’il me voyait, il venait sur ma main, sur mon bras, sur mon épaule, comme pour me témoigner sa reconnaissance. M’arrivait-il de le placer sur une table et de lui passer les doigts sur le corps, non seulement il se laissait faire, mais encore il faisait le gros dos comme un chat qui se réjouit d’une caresse; aussitôt que je faisais un mouvement pour sortir, il tournait la tête de mon côté comme pour me supplier de rester.

Au bout de trois semaines, il était devenu tellement apprivoisé que je pouvais l’emporter d’une chambre dans une autre et le montrer à mes amis.

Malheureusement, les premiers signes de la vieillesse se firent bientôt sentir. Les couleurs éclatantes disparurent, le corps se plissa, l’appétit diminua. Pendant les dix derniers jours, je dus le nourrir moi-même; il ne voulait plus reposer que dans ma main, et, si je le plaçais ailleurs, il faisait mille efforts pour venir vers moi. Enfin, après trente-quatre jours de vie en commun, il mourut dans ma main.

Pauvre petit papillon, vieux et décrépit à un mois !

* * *

Que penser de ce texte, me demandez-vous ? Il est vrai, tout d’abord, que certaines espèces hivernent, en état de dormance, sous la forme de papillon, d’imago, et non de larve ou de chenille. Ils trouvent refuge dans des cavités, des greniers, des murs, des lieux humides abrités des intempéries, puis réapparaissent au printemps. Je me rappelle qu’un hiver, étant enfant, j’avais entré une bûche dans la maison. Quelle ne fut pas ma surprise de voir soudain un papillon voler dans la maison ! Manifestement, il était en train d’hiberner dans cette bûche et la chaleur de la maison l’avait éveillé.

Le papillon ci-haut, le Morio (Nymphalis antiopa, Mourningcloak Butterfly), visible un peu partout sur Terre, est l’un des papillons québécois qui hibernent. Selon l’entomologiste Jean-Paul Laplante, dans son ouvrage Papillons et Chenilles du Québec et de l’est du Canada (Montréal, Éd. France-Amérique, 1985), il sort de sa période hivernale à très bonne heure au printemps. Il «apparaît habituellement dès le début d’avril, même lorsque le sol est encore largement couvert de neige».

La durée de vie des papillons est variable selon les espèces. Aucun indice dans l’article du Monde illustré ne permet d’identifier quelle est l’espèce de papillon dont il est question. Mais 34 jours de vie comme ici est tout à fait concevable. Chez moi, par exemple, je n’ai jamais vu le magnifique Papillon tigré du Canada (Pterourus glaucus, Canadian Tiger Swallowtail) avant le 15 mai et je ne le verrai plus après le 12 juillet; et j’ai noté qu’il vit environ un mois.

Mais peut-on «apprivoiser» un papillon à la manière de cette jeune Américaine ?

Bonne question. Je les fréquente depuis bientôt 40 ans. Certains papillons nous fuient rapidement, mais il m’est arrivé à maintes reprises que des papillons me tournent autour avec insistance. Alors j’entreprends de ne plus bouger et de leur parler, et ils poursuivent leur danse autour de moi. La Piéride du chou (Artogeia rapae, Imported Cabbageworm), en particulier, importée d’Europe par mégarde au 19e siècle, qui connaît plusieurs générations par saison et ne semble pas avoir de prédateur, est particulièrement tenace, insistante. Allez savoir ce qui la pousse à pareil manège ? La simple couleur de ma mise, ma présence familière, des «énergies» communes mais inexplicables pour l’instant ? Je l’ignore.

Mais je n’ai tout de même jamais connu chez moi de papillon venu mourir dans ma main.

 

Ci-bas, la Piéride du chou. Et voici deux photographies du papillon belge de Madame Kathe, un Paon du Jour, en train de boire son jus d’orange. Lisez les commentaires plus bas de Madame Kathe ; ces photographies sont une merveille.

Le second Paon du Jour est celui de Fabienne, demeurant en Belgique, elle aussi. Voir les commentaires de Fabienne plus bas.

Merci beaucoup à vous deux Kathe et Fabienne.

Celui-ci de Fabienne

22 commentaires Publier un commentaire
  1. Odette Plante #

    Ode

    Il est magnifique ce papillon! J’ai été très impressionnée par sa couleur et sa dentelle turquoise bordée de dorure. Je l’ai vu une seule fois en faisant une marche à la plage Jacques-Cartier il y a 2 ans.

    7 février 2013
  2. Jean Provencher #

    Chère Ode, il est fort beau, en effet. Et, pour la majeure partie de son manteau, on dirait du velours. Chez moi, je commence à le voir surtout en août et il sera facilement visible jusqu’à la fin d’octobre.

    7 février 2013
  3. Luna #

    Bonjour,
    Moi,mon papillon refuse de manger. Je lui aies proposer du miel, du liquide sucré et des fleurs, il ne mange pas.Et il s’affaiblit! Quelqu’un peut me donner une idée? Et je ne comprends pas le truc avec les antennes.

    28 juillet 2015
  4. Jean Provencher #

    Appel à toutes et à tous ! Appel à toutes et à tous !

    Savez-vous l’âge de votre papillon, chère Luna ? Vous n’êtes pas sans savoir que, chez plusieurs, la vie est bien courte, quelques semaines tout au plus. J’ai un copain, pour «attirer les bonnes énergies», me dit-il, allume et laisse brûler une bougie. Et il croit dur comme fer qu’il a raison.

    Bravo pour votre intérêt pour les papillons ! À mes yeux, comme pour les batraciens et autres animaux voisins (reptiles, salamandres, tortues), c’est un signe de santé de notre coin de vie lorsqu’ils abondent. Chez moi, en ce moment, c’est un grand été de papillons. Et j’ose croire qu’il y a moins de pesticides et d’herbicides dans les environs.

    28 juillet 2015
  5. Luna #

    Rebonjour,
    Eh bien l’espèce de mon papillon était un Vannessa petite tortue. Et j’ai lu qu’il aurait dû vivre longtemps! Il avait perdu beaucoup de sa couleur. Donc j’ai décider de le relâcher. Il avait toujours l’air très fatigué, mais je pense qu’il était mieux dehors.😔

    29 juillet 2015
  6. Jean Provencher #

    Vous avez bien fait, chère Luna.

    29 juillet 2015
  7. bob #

    Bonjour, je tombe sur votre blog en recherchant « apprivoiser un papillon » sur google suite à une petite expérience que j’ai réalisée en nature.
    J’avais aussi remarqué cette curiosité chez les papillons, comme un désir d’ « entrer en contact ». Je me suis donc mis en tête d’en « apprivoiser » un.

    Etapes:
    1. Montrer au papillon que l’on s’intéresse à lui (aller où il va!). Le laisser vous tourner autour sans faire un geste…Peut-être va-t-il vous tester en frolant votre visage ou en vous touchant.

    2. Une fois à l’aise, le papillon se posera au sol et sur un végétal à 2-3 mètres.

    3. S’en approcher au ralenti et tendre votre main sans geste brusque dans sa direction.

    4. Répéter ces 3 premières étapes aussi longtemps que vous n’avez pas 1 doigt sous son nez. Le papillon est curieux mais pas naïf !! (il m’a fallu 3-4 tentatives avec un monarque rouge!)

    5. Dans mon cas le papillon n’a pas grimpé de son plein gré sur mon doigt comme le font en général les mouches.
    J’ai dû lui « forcer la patte » très très délicatement.

    6. Retirer votre doigt tout gentiment dès que le papillon à poser une de ces pattes sur votre doigt. A ce moment, tout le papillon s’aggrippera à votre doigt et y restera et sucera les sel minéraux de votre peau.

    Ce fut une expérience très enrichissante !! Comme quoi nous faisons vraiment parti d’un tout…suffit d’ouvrir les yeux;)

    28 août 2016
  8. Jean Provencher #

    Ô Bravo ! Coup de maître !

    28 août 2016
  9. bob #

    Avec les mouches, ça marche aussi… et les sauterelles, c’est beaucoup plus facile…
    Une fois sur vous la sauterelle commencera à vous croquer avec ses mandibules. ça me parait assez agressif une sauterelle.
    Voilà quelques petites expériences à tenter.
    Bonne soirée.

    28 août 2016
  10. Jean Provencher #

    J’ai toujours remarqué que les sauterelles étaient intriguées par notre présence. Mais, à ce jour, je ne me suis pas fait manger encore.

    Belle soirée à vous aussi.

    28 août 2016
  11. Kathe #

    Dans ma chambre, il y a un papillon depuis plusieurs semaines. C’est l’hiver. Il fait trop froid pour que je le mette dehors. J’ai pensé qu’il avait soif ou faim. Je lui ai mis un petit capuchon de jus d’orange. Il s’est immédiatement approché et y a trempé sa trompe durant plusieurs heures. Le lendemain, je lui ai proposé le même breuvage, mais il n’y a pas touché. Aujourd’hui, il est venu demander qu’on le nourrisse en se posant sur la main de mon mari durant longtemps. Je lui ai de nouveau proposé du jus d’orange. Il a mis sa trompe dans le liquide et est toujours en train de boire actuellement. Je pense que ce papillon sait qu’on lui veut du bien et qu’il va continuer à nous demander son repas quand il en aura envie. Dès qu’il fera meilleur, je le libèrerai. Il parait que cette espèce peut vivre entre 5 et 7 mois. Il s’agit d’un « Paon du jour ».

    2 janvier 2018
  12. Jean Provencher #

    Quelle belle histoire !

    Je suppose que vous n’êtes pas au Québec en ce moment, mais sans doute en Europe, car, au Québec, je ne crois pas que nous ayons ce papillon-là. Au Québec, relâché en ce moment, il mourrait, il vous faudrait alors attendre la venue du printemps.

    Mais, bravo ! Prenez-en bien soin !

    Visiteure, visiteur, remontez tout juste un peu plus haut, vous verrez deux photographies du papillon en train de boire son jus d’orange !

    2 janvier 2018
  13. Kathe #

    Je suis en Belgique. S’il survit et que je peux le rendre à la nature quand le printemps sera venu, je vous tiendrai au courant de comment cela s’est passé.

    2 janvier 2018
  14. Jean Provencher #

    Je Vous remercie infiniment. Si vous avec une image de vous ou votre époux en train de le nourrir, je serais preneur.

    Voyant votre témoignage, un ami québécois m’écrit :

    Superbe histoire. On a vécu un peu ça à l’Île d’Orléans un été, il y a plusieurs années, avec un papillon-lune qui est demeuré une semaine sur notre balcon avant, accroché à une plante (qu’il devait fortement apprécier, tout comme nous aussi, fort probablement !!)

    Je persiste à croire, depuis ce temps, que les papillons nous comprennent, nous « sentent »…

    Merci beaucoup beaucoup, chère Madame.

    Et prière de surveiller votre chat.

    2 janvier 2018
  15. Fabienne #

    J’ai découvert un magnifique Paon du jour sur le parquet de mon bureau ce mardi 12 janvier. Je pense qu’il aura été dérangé dans son hibernation lors du déménagement de mon piano le matin même… Quand je me suis approchée pour le contempler, il a refermé ses ailes, je lui ai parlé pour le rassurer et il les a rouvertes, me permettant ainsi de le photographier. Je lui ai apporté une assiette sur laquelle j’avais disposé une petite cuillère d’eau sucrée ainsi qu’un quartier d’orange. Un jour, je l’ai retrouvé couché sur le côté, les ailes repliées, comme mort… Inquiète, je l’ai touché légèrement et j’en ai vu que quelque chose bougeait (patte, trompe ?) et il s’est « réveillé », à mon grand soulagement. C’est ainsi que je le retrouvais chaque matin, ailes ouvertes ou refermées, se déplaçant parfois légèrement, toujours autour de l’assiette, me demandant ce qu’il fallait faire pour l’aider ? Mais ce dimanche 17 au soir, je l’ai retrouvé de nouveau couché sur le côté ( alors que le matin même il avait ses belles ailes ouvertes), et , cette fois, plus moyen de le réveiller…. Est-il mort finalement, mon beau papillon, ou est-il plongé en hibernation ?
    Du coup, je me demande ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire… Et c’est pourquoi aussi j’aimerais beaucoup savoir la suite de l’histoire de Kathe, qui est en Belgique comme moi 😉

    19 janvier 2021
  16. Jean Provencher #

    Chère Fabienne, la Paon de Kathe et de son conjoint était disparu et, malheureusement, si je me rappelle bien, ils l’ont trouvé décédé au printemps, derrière un meuble qu’ils ont déplacé. C’est vraiment un très beau papillon.

    Ici, au Québec, ce papillon serait n0uvellement entré. Il serait descendu de bateau et il aurait été aperçu près de deux ports, dont celui de Montréal. J’ai hâte de voir s’il va arriver à s’acclimater. Le climat du Québec n’est pas toujours facile pour un nouveau papillon. Seuls les plus coriaces, qu’on retrouve dans plusieurs endroits sur Terre, s’y font. La Belle Dame, en particulier, que Vous avez aussi en Belgique au moment de ses migrations sud-nord et nord-sud entre l’Afrique et l’Europe du Nord, est du nombre.

    19 janvier 2021
  17. Fabienne #

    Hélas, mon papillon est bien mort… Depuis dimanche, j’entrais régulièrement dans la pièce en espérant le voir « ressuscité » mais rien, et hier j’ai eu la confirmation que la vie l’avait quitté lorsque sa petite patte toute raide s’est détachée. Je me sentais triste, j’aurais tant voulu qu’il attende quelques semaines et que je puisse le relâcher aux premiers beaux jours… A votre avis, qu’aurais-je dû faire pour qu’il vive ? Je n’arrête pas de me demander ce qui a bien pu se passer…. Difficile de savoir son âge, mais ses couleurs étaient encore vives et belles…

    21 janvier 2021
  18. Jean Provencher #

    J’aurais été triste, moi aussi, chère Fabienne. Mais il y a vraiment peu de choses à faire. J’ai déjà entré dans la maison une bûche pour la mettre de côté en vue du chauffage. Mais bientôt, à ma grande surprise, une papillon en est sorti. Il avait trouvé refuge dans la bûche pour traverser l’hiver. Mais, en entrant la bûche dans la maison, je l’obligeais à s’éveiller comme si c’était le printemps. Alors, même en prenant soin de ce papillon, je ne suis pas arrivé à le sauver. Il est décédé rapidement.

    21 janvier 2021
  19. Fabienne #

    Merci beaucoup pour vos paroles, elles m’ont fait du bien. Je suis désolée pour votre papillon mais, en même temps, votre histoire et celle de Kathe m’aident à comprendre et accepter que je ne pouvais pas faire grand-chose… Accueillir à la fois la beauté magique de la rencontre et son caractère éphémère , en somme… 😉
    Je voulais vous envoyer une belle photo de mon papillon, mais je ne sais pas comment faire (j’essaie de faire un copier-coller ici même mais ça ne marche pas)

    23 janvier 2021
  20. Jean Provencher #

    Vous avez bien raison, chère Fabienne : accueillir la beauté de la rencontre et son caractère éphémère, comme vous dites si bien.

    Par ailleurs, je vais vous envoyer mon courriel personnel et vous pourrez peut-être me faire suivre votre belle photo de votre papillon. À tout de suite.

    23 janvier 2021

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