Les temps changent (première partie)
C’est ce que constate le journaliste et historien Benjamin Sulte dans Le Monde illustré du 23 janvier 1892. Bien plus, tant qu’à y être, pourquoi pas un éloge du progrès.
Couper le grain à la faucille, à la poignée, le coucher sur le champ, le ramasser en javelle avec des râteaux, le battre à grand renfort de bras, s’épuiser la constitution à labourer la terre, puis à y semer l’espoir de la prochaine récolte, c’était l’ancien système. Les machines ont modifié tout cela. L’homme est devenu le roi de la création puisqu’il n’a qu’à ordonner pour la voir produire. C’est donc une conquête de notre temps qu’il faut enregistrer. Les premières machines à battre le grain, le couper sur pied, le ramasser faisaient sourire des hommes que je croyais très intelligents et qui n’étaient que de vilains routiniers, comme il s’en voit encore.
La chandelle de six et la chandelle de quatre avaient du bon — mais pas autant que le gaz d’éclairage et la lumière électrique ! Nous avons appris le B A ba sous un lumignon enveloppé de suif; nous écrivons le présent article sous les effluves de l’arc électrique. La nuit sombre, ténébreuse, effrayante, n’existe plus, et sans faire de la nuit le jour, dans le sens des viveurs qui mangent leurs fortunes entre deux soleils, nous avons de quoi nous moquer de Louis XIV et de ses douze cents chandelles allumées à un bal de Versailles. Le roi-soleil n’avait qu’une mèche de coton.
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Jadis, pour traverser les rivières, il y avait des bacs. Plus tard, on inventa les horse boats. Nos ponts valent mieux que cela. Laissez-moi vous dire que, dans les lettres de voyage de Mgr Plessis, qui visita la France et l’Italie en 1819, lettres inédites, il est parlé de l’absence des ponts dans les pays qu’il parcourait; il en rit, tout en plaignant les populations qui souffrent de ce manque de transport. Sa bonne humeur lui fait sans cesse comparer le Canada avec les contrées européennes. Ce qu’il observe, ce qu’il dit n’a rien perdu de sa valeur : nous sommes le peuple constructeur de ponts; de plus nous donnons l’exemple aux perceurs de tunnels, car notre méthode est la meilleure du monde entier.
M. Merritt, parlant en présence de la législature, disait : « Nous devrions utiliser les navires à vapeur qui commencent à voyager d’Europe en Amérique. Une subvention du gouvernement de Québec amènerait deux ou trois de ces vaisseaux dans notre fleuve, chaque été, et voyez quel bienfait pour nous ! »
Cinquante ans après M. Merritt, nous voyons deux ou trois navires à vapeur remonter le fleuve, chaque jour de l’été, portant au Nouveau Monde des produits contre lesquels ils échangent ceux de notre Canada.
Il est juste d’ajouter que M. Merritt passa pour un visionnaire en son temps.
Vers 1817, un membre de la Chambre des Communes d’Angleterre disait que, si des émigrants étaient expédiés au Canada, il faudrait leur envoyer de la viande et de la farine pour subsister, vu que le pays était à l’état sauvage. C’est nous, à présent, qui envoyons des céréales et du bœuf et des moutons et du beurre et du fromage et des pommes aux marchés de Londres.
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Nous n’avions pas d’aqueduc, rien que des puits ou le service des porteurs d’eau, hélas ! peu ragoûtant. Et le breuvage de notre premier père coûtait le prix ! Par un coup de baguette magique, la fée moderne a donné à chaque maison un robinet; quel fleuve ! De l’eau à laver tout le monde, on n’en revient pas. Les jeunes s’imaginent que cela a toujours existé. Avoir le Saint-Laurent dans sa chambre était un rêve, qui vient d’être fait réalité. Inclinez vous, fière jeunesse — et redoublez d’ardeur pour l’eau claire.
Le porteur d’eau, ci-haut, est une création de Julienne et René Dandurand, des amis bien chers de Valleyfield.
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