Maudits redoux !
En 1900, on n’aime pas les redoux, l’hiver. Ils sont hors saison, «asociaux». Et il ne faudrait surtout pas qu’ils durent, ils pourraient nous mettre à genoux. Ça s’est vu de belles routes de neige durcie commencer à défoncer. Et puis nos ponts de glace précieux, si utiles, sur le fleuve et les rivières, devenus dangereux.
À la mi-janvier 1899, à cause du redoux, on vient près de se noyer en empruntant le pont de Saint-Anicet, en amont de Montréal. Le 17 janvier 1899, le journal La Patrie raconte : « La traverse entre St-Anicet et Bainsville est très dangereuse et déjà plusieurs voitures ont passé à travers de la glace. Mais il n’y a pas eu de perte de vie. »
Le lendemain, toujours selon La Patrie, il faut maintenant oublier aussi le pont de Saint-Lambert. « La Patrie annonçait hier que le pont de glace entre Montréal et St-Lambert s’était brisé par suite du dégel des derniers jours et qu’un cultivateur qui traversait à ce moment-là avait passé à travers la glace avec son cheval et sa voiture et que c’était avec peine qu’on avait pu le retirer de cette position excessivement dangereuse. Depuis que nous avons annoncé ce fait, la débâcle a fait du progrès et maintenant l’on peut voir en face de la ville la lutte qui se fait entre le fleuve géant et la barrière de glace qui s’est accumulée dans le chenal au bout de l’île aux millions. C’est la température inconstante que nous avons depuis quelque temps qui est la cause de tout cela. En effet, qu’est-il arrivé ? La glace sur le fleuve en bas du pont Victoria s’est formée d’abord en couche mince qui ne s’est épaissie qu’à la suite de tempêtes de neige molle et mêlée de grésil, de sorte que sa constance était de nature à inspirer de très légitimes craintes. Puis est survenue une semaine de froid sibérien, qui a certes ajouté à l’épaisseur de la couche en dessous, mais cependant pas assez sensible pour la rendre d’une solidité à toute épreuve. La couche superficielle s’est ramollie dès que le temps s’est adouci et, la pluie aidant, des mares se sont formées ça et là jusqu’à mardi quand cédant sous la pression, le pont a été emporté. Actuellement, la traverse est condamnée et un gardien a été chargé de voir à ce que personne ne viole cette défense. Le département des chemins a fait fermer plusieurs bouches d’égouts parce que le niveau du fleuve a monté et que l’eau s’engouffrait dans ces bouches d’égouts. On a de plus mis en mouvement les pompes, qui ont fonctionné toute la nuit. Cependant, ce matin, tout danger est passé. La température plus froide que nous avons a tout remis dans son état normal excepté le chemin de St-Lambert, qui ne pourra être ouvert de nouveau que dans quelques jours.»
On n’en finirait plus d’énumérer les désavantages des redoux dans la vie quotidienne de la population en hiver. Des cabanes à pêche partent à la dérive. Les patinoires, lieux tant aimés de mascarades, deviennent soudain inutilisables. À tout prendre, il vaut vraiment mieux des froids à pierre fendre.
C’est ce que souhaitent d’ailleurs les marchands de glace, qui n’ont que quelques semaines, au début de chaque année, pour remplir les grandes glacières qu’on retrouve dans les quartiers des villes. Cette glace, récoltée sur les cours d’eau, fournit de l’emploi à un grand nombre d’ouvriers et joue un rôle important dans la santé des populations en plein été.
La belle image ci-haut de récolte de glace provient de l’ouvrage de Harry T. Peters, Currier & Ives, Printmakers to the American People, New York, Doubleday, Doran & Co., 1942. Currier & Ives était un atelier de gravures newyorkais, qui en réalisa plus d’un million entre 1835 et 1907. Ces gravures connurent une grande diffusion, même au Québec, en particulier pour des calendriers fort impressionnants, dont on prenait bien soin. Un calendrier Currier & Ives rendait les enfants béats. Et puis voyez sur l’image, le chien est présent, regardant les humains s’activer. Au loin, des patineurs. Et toujours le cheval associé aux travaux. Nous sommes de la civilisation du cheval comme bête de trait; ailleurs, il s’en trouve aussi de l’âne, du bœuf, du buffle, du renne, du yak…
Merci à mon bouquiniste Michel Roy pour l’accessibilité à ce volume.