La fête de Noël en Angleterre (première partie)
Le samedi 27 décembre 1890, le quotidien montréalais L’Étendard propose un texte de Georges Pétilleau, professeur de français à Londres, sur la fête de Noël en Angleterre. À certains moments, on se croirait sur une autre planète.
La christmas-log ou bûche de Noël pétille dans l’âtre; les enfants achèvent de décorer l’appartement. Le plafond disparaît sous des guirlandes de houx et de lierre. Des grappes de mistletoe (gui) pendent au-dessus des lustres. Ravissant souvenir des temps druidiques. Tout à l’heure, il ne sera plus permis au sexe faible de passer impunément sous le rameau sacré. Faites un détour, mesdames, ou payez de bonne grâce.
D’ailleurs, le péage n’est pas cher : pour un baiser on en voit la farce. Que de charmants romans d’amour ébauchés le jour de Noël sous les baies blanches du mistletoe……
Dans la rue, les waits ou musiciens ambulants chantent à bouche que veux-tu les christmas carols les plus invraisemblables sur les airs panachés du Venite adoremus, de Boulange ou du dernier ballet d’Hervé à l’Empire Theatre. On leur jette des sous par les fenêtres.
Dans les cuisines, vraies «cuisines de Riquet-à-la-Houppe», se préparent les noces de Gamache.
Pendant toute la semaine, la ménagère a surveillé elle-même ses emplettes, présidé au choix du dindon le plus dodu du Baron of Beef ou quartier de bœuf le plus solennel.
Le grand concours des animaux gras vient d’avoir lieu à l’Agricultural Hall; aussi l’étal des bouchers, charcutiers, etc., gémit-il sous le poids de bœufs gros comme des éléphants, des porcs gros comme des veaux, de dindons et d’oies qu’on prendrait volontiers pour des autruches.
Dans les universités, notamment à Queen’s College, Oxford, il est de tradition de manger une tête de sanglier servie avec tous les salamalecs possibles et imaginables. […]
Les enfants battent des mains, grimpent sur leurs chaises et poussent de joyeux hurrahs. L’aïeule fait un signe et réclame le silence. On sent que quelque chose de grave se prépare. Granny (grand’mère) se fait apporter une bouteille de son cognac le plus vieux. On arrose le pudding, on éteint le gaz et le plus jeune des babies allume l’eau-de-vie dont la flamme scintille en reflets bleus, pendant que la sainte Jeunesse improvise une ronde autour de la table.
Le gaz brille de nouveau. Le pudding est majestueusement entamé. La branche de houx qui lui sert de queue est précieusement recueillie. C’est le porte-bonheur de l’an qui vient. On fait d’abord la part des absents. La poste, dès demain, portera aux colons de la Nouvelle-Zélande, aux sheep-farmers d’Australie, aux garnisaires d’Égypte, cette communion avec la mère patrie.
Le maréchal Caurobert m’a raconté que, pendant la guerre de Crimée, les militaires anglais reçurent, le jour de Noël, dans des boîtes de fer-blanc, des plum-pudding préparés par les soins du comité des dames de Londres, et que cette attention délicate rendit immédiatement la gaieté aux pauvres blessés. Si je cite ce fait, c’est pour démontrer l’importance capitale du gâteau national de Noël. […]
Demain : suite et fin.