Retour au philosophe Michel Serres (1930-2019), sur la lecture et l’écriture

Cet extrait provient du livre de la philosophe et psychologue Vinciane Despret, Habiter en oiseau.

« La lecture, dit-il, n’est pas limitée à celle des codes de l’écriture telle que nous l’entendons usuellement, ce que savent les bons chasseurs, capables de lire, dans les traces laissées par le sanglier, son âge, son sexe, son poids, sa taille, et mille autres détails :

« Le bon chasseur lit, après avoir appris à lire. Que déchiffre-t-il ? Une empreinte codée. Or cette définition peut passer pour caractériser l’écriture humaine historique elle-même. »

« Car l’écriture, continue Serres, est le trait de tous les êtres, vivants et non vivants, qui tous écrivent « sur les choses et entre eux, les choses du monde les unes sur les autres ». L’océan écrit sur la falaise rocheuse, les bactéries écrivent sur nos corps, tout, fossiles, érosions, strates, lumière des galaxies, cristallisation des roches volcaniques… est donné à lire. On lisait avant d’écrire et cette possibilité ouvre l’écriture à bien d’autres registres, comme « ensemble de traces qui codent un sens ».

« Si l’histoire commence avec l’écriture, alors toutes les sciences entrent, avec le monde, dans une histoire nouvelle et sans oubli. » Bien sûr, ce sont des passages risqués qu’opère Serres, des traductions qui lient ce qui semblait destiné à rester délié — ne fût-ce que parce que l’exceptionnalisme humain préside soigneusement à ces séparations de registres. Et c’est justement le motif qui anime Serres, rompre avec la sordide habitude de mettre l’humain au centre du monde et des récits, ouvrir l’histoire à des myriades d’êtres qui comptent et sans lesquels nous ne serions pas là.

Vinciane Despret, Habiter en oiseau, Éditions Actes Sud, 2019, p. 31. Collection Mondes sauvages. Pour une nouvelle alliance.

La photographie est la lecture du passage des dindons sauvages devant ma maison.

On trouvera ici quelques billets évoquant Michel Serres sur ce site interactif.