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Nous ne gagnerons pas contre la Nature, elle aura notre peau

Qu’attend-on pour en prendre conscience ? De cesser, par exemple, de couper des arbres en bordure d’une école, comme la Ville de Québec vient de le faire, pour créer des places de stationnement.

C’est de la multiplication de gestes semblables dont nous sommes en ce moment à payer le prix. Et certains n’en sont même pas conscients.

Depuis deux années et demie que je me suis complètement défait de mon appareil-télé, je n’ai jamais tant lu, mes soirées m’appartenant et non aux commanditaires qui nous abreuvent de leur eau. Si j’en conservais un seul de ces livres magnifiques, je garderais celui de Virginie Maris, La part sauvage du monde, Le Seuil, 2018.

Et voici Madame Maris dans l’édition quotidienne du journal Le Monde, du 27 juillet 2019, qui est rentré hier matin à Québec. Extraits.

Le sauvage n’a pas dit son dernier mot ! Car le génie du vivant, c’est qu’il résiste à toutes les tentatives d’appropriation, de domestication et de contrôle, qu’il est toujours plus inventif et plus agile que nous sommes dans cette bataille. Partout, la vie sauvage, impétueuse se rebiffe. Déjà le béton des cités se fend sous la force des racines, les carcans cèdent, les rivières endiguées débordent, la terre s’échauffe. Et, dans ce cadre entièrement conçu pour maintenir l’ordre et gérer l’inertie, c’est sous des formes de plus en plus menaçantes que le monde sauvage nous rappelle la vanité de l’ingénierie humaine : antibiorésistance, invasions biologiques, maladies infectieuses, dérèglement climatique… de toutes parts on voit se craqueler le vernis confortable de la modernité. […]

Alors que la transition énergétique est soluble dans l’économie de croissance, qu’elle génère aisément de nouvelles marchandises, de nouvelles demandes, qu’elle réorganise avec une efficacité redoutable les rapports d’abondance et de rareté si chers aux marchés, transformant en commodités jusqu’aux souffles du vent et aux rayons du soleil, la préservation du monde sauvage porte en elle les germes d’une irréductible subversion, fondamentalement récalcitrante aux logiques du profit et de la mise en travail des vivants et de la terre.

« Préférer ne pas » : ne pas construire ne pas développer, ne pas organiser, renoncer même, se fondre humblement dans le décor du paysage pour laisser d’autres formes de vie s’épanouir et constituer leurs mondes ; chérir la gratuité et le don ; prendre soin des plantes et des bêtes sauvages ; consacrer son temps et son travail à protéger et à entretenir des milieux qui n’ont rien à offrir en retour qu’une beauté à couper le souffle, voilà bien  de quoi faire trembler les patrons de CAC40 [note : le CAC40 est le principal indice boursier de la Bourse de Paris pour le grand capital].

Et ce qui est encourageant dans une telle perspective, c’est que cela marche. Le monde vivant, contrairement au climat, répond très vite aux changements. Il suffit souvent de suspendre l’assaut, de laisser la nature reprendre son souffle pour que loutres et poissons migrateurs regagnent les rivières, pour que les prédateurs que l’on cesse de persécuter reviennent tranquillement, pour que la forêt qu’on accepte de ne plus gérer repousse dans son exubérance et son désordre.

Par-delà la vitalité des écosystèmes, la société elle-même semble prête. Combien sommes-nous aujourd’hui à souhaiter cette rupture, à reconnaître et à respecter l’altérité du monde sauvage, à vouloir mettre fin au pillage qu’organise un petit nombre de puissants au dépens de tous les autres, humains et non-humains : celles et ceux qui refusent de s’asseoir sagement sur les bancs de leur classe pendant que leurs aînés saccagent le monde dans lequel il leur faudra survivre ; qui marchent pour le climat et la justice sociale ; qui désobéissent pour éviter l’extinction ; qui acquièrent des terres dans le seul but d’en faire des réserves de vie sauvage ; qui s’opposent aux grands projets inutiles ; qui inventent des pratiques paysannes et agricoles respectueuses des milieux… Ne sommes-nous pas infiniment plus nombreux que les cyniques et les technophiles, nous qui croyons qu’un monde sans vie sauvage ne vaudrait finalement guère mieux que la fin du monde ?

 

Virginie Maris, « La vie sauvage n’a pas dit son dernier mot ! », Paris, Le Monde, édition du 27 juillet 2019, p. 22.

Merci beaucoup, Madame Maris.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Michel Chauvin #

    Magnifique et édifiant.

    31 juillet 2019
  2. Jean Provencher #

    J’aime beaucoup, cher Michel, cette Virginie Maris.

    31 juillet 2019
  3. Claude Fortin #

    Merci beaucoup, Madame Maris et Monsieur Provencher pour vos 2 témoignages pour préserver la Nature sauvage. Que Dieu soit loué!

    31 juillet 2019

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