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Retour à la poésie de l’Argentin Roberto Juarroz

On a dit de lui qu’il est l’une des voix les plus singulières et les plus importantes de la poésie sud-américaine au 20e siècle. Ses poèmes ne portaient pas de titres, il préférait plutôt les numéroter l’un à la suite de l’autre.

 

 

 

 

61

Quand cesse une chose

peut-être qu’il ne reste rien,

hors ce reflet trompeur que nous nommons absence.

Mais quand plusieurs choses cessent ensemble

apparaît comme autre chose,

une mince bande de présence

ou du moins une faille d’anti-absence

à la limite de ce qui peut être nommé.

 

Si toutes choses s’unissaient pour en finir

peut-être que tout commencerait à neuf.

Ou simplement resterait tel.

 

94

Un arbre enveloppe un nuage,

un oiseau enveloppe un arbre

et une plume de l’oiseau disperse l’air

pour faire place au signe maintenant là.

 

Ce qui enveloppe est enveloppé par ce qu’il enveloppe

mais le signe nouveau passe justement

entre l’enveloppé et ce qui enveloppe

et défait le paquet.

Le soir devient un dieu.

 

Un arbre descend alors d’un nuage,

le nuage descend d’un oiseau

et une plume de l’oiseau écrit le nouveau signe

sur le versant qui vient d’être dégagé.

 

105

Le poème respire avec ses mains

qui ne prennent pas les choses : qui les respirent

comme des poumons de paroles,

comme une rauque chair verbale en proie au monde.

 

Sous ces mains

tout acquiert la forme

d’un noueux dieu vivant,

d’une rencontre de dieux déjà mûrs.

 

Les mains du poème

reconquièrent l’antique pouvoir

de toucher les choses avec les choses.

 

Roberto Juarroz, Poésie verticale, traduit de l’espagnol et présenté par Roger Munier, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1989. Collection Points.

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