Un étonnant spectacle de chevaux à Québec
Peut-être vous souvenez-vous de ce billet qui l’annonçait. Voici qu’un journaliste du quotidien L’Électeur y était présent. Il raconte.
C’est merveilleux ! C’est merveilleux !
Voilà ce que tout le monde se disait hier soir après la première représentation du professeur Bristol.
Avouons-le franchement : le public avait raison. Le professeur Bristol est un véritable prestidigitateur ; il fait faire à ses chevaux des choses étonnantes, des choses enfin, qui surpassent tout ce qu’on peut rêver de plus extraordinaire.
Nous avions bien lu la réclame ; nous avions bien vu les gravures représentant les prouesses des fameux chevaux, mais nous avions nos doutes bien sérieux sur la réalité, sur l’exécution du programme tel qu’annoncé. Que voulez-vous ? l’on en fait si souvent acroire au public !
Eh bien ! le professeur Bristol donne beaucoup plus que ne promet l’affiche.
Au lever du rideau, vous voyez le professeur seul sur la scène. En quelques mots, il vous explique comment l’on reconnaît les chevaux intelligents parmi ceux qui le sont moins ; la conformation de la tête, les yeux, etc., etc., sont, dit-il, des guides certains. Puis il fait claquer son fouet et vous voyez accourir par les coulisses douze à quinze chevaux, blancs, rouges, noirs, pommelés, une mule et des poneys. On dirait de vrais acteurs qui savent leur rôle et n’attendent que le signal pour le jouer.
Voir une bande de chevaux sur la scène, la crinière toute enrubannée, c’est déjà assez nouveau. Ce n’est rien, cependant, comparé au reste de la représentation. Vous allez voir.
Une fois tous les chevaux sur la scène, le professeur les présente au public et vous les voyez qui font de grands saluts à l’auditoire, puis il se fait aider à revêtir son pardessus par Denver, — la petite mule, — qui est une actrice consommée. Claude court lui chercher un siège et lui enlève ses « claques » qu’il va porter en dehors de la scène. Un autre cheval saisit une brosse dans sa gueule et la passe sur l’habit de son maître.
Mais voici l’heure de la classe arrivée. Denver sonne la cloche et les élèves accourent en toute hâte. Claude prend une éponge avec sa gueule et essuie le tableau noir. C’est alors qu’apparaît le grand mathématicien. Le professeur lui fait faire des additions, des soustractions et des divisions, et voici comment il procède. Combien font cinq fois cinq ? Le cheval bat vingt-cinq piaffements aux applaudissements de l’auditoire. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que le professeur invite quelqu’un dans la salle à poser des problèmes. L’hon. M. P. Garneau qui occupait l’une des premières banquettes a posé deux ou trois problèmes au cheval et ses réponses étaient parfaites. Notez bien que le professeur ne répétait pas les problèmes, le cheval répondait de lui-même sans autre invitation.
C’est épatant, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout. L’un des chevaux va ouvrir un pupitre et cherche un mouchoir à son maître, un autre va y prendre du papier, et un troisième de l’argent. Il apporte d’abord deux pièces de cinquante sous. Ce n’est pas cela, dit le professeur, il me faut une piastre en papier, pour mettre dans une lettre, et, de suite, le cheval d’aller prendre dans le tiroir un billet d’un dollar et de l’apporter. Le professeur le met dans une enveloppe et Denver porte la lettre à la poste.
À part tout cela, les chevaux se balancent dans la balançoire, dans une berceuse, ils font la chaîne du quadrille, l’exercice militaire et une foule d’autres choses vraiment étonnantes. Il faut le voir pour le croire.
Il y avait salle comble hier soir et nous avons remarqué un grand nombre de membres du clergé catholique et protestant.
Nous conseillons à ceux qui n’ont pas encore vu ces représentations de ne pas les manquer pendant la semaine que le professeur Bristol va passer ici. C’est assurément l’une des plus merveilleuses choses qui se puissent voir. On sort de là étonné de voir que des animaux puissent accomplir de pareils tours de force.
L’Électeur (Québec), 24 avril 1894.