Hommage à un grand homme
Biologiste et philosophe de nationalité allemande, né en Estonie, voilà Jacob von Uexküll (1864-1944).
Il est celui qui, un jour, a eu l’intuition fondamentale que chaque animal, chacun de nous y compris bien sûr, est en relation avec son environnement par l’intermédiaire des sens physiologiques de l’espèce à laquelle il appartient. On donne le nom d’Umwelt à sa manière d’être de chaque vivant.
Pour comprendre chaque espèce et chaque individu la composant, cette pensée est fondamentale. Elle nous aide au respect de l’autre et une sage réinsertion dans l’immense univers des vivants.
Le philosophe français Dominique Lestel, né en 1961, qui cherche à développer une « philosophie de terrain » très influencée par David Thoreau, est l’auteur de la préface du grand ouvrage de Uexküll, Milieu animal et milieu humain. Extraits.
Uexküll explique de façon très subtile pourquoi un être humain ne percevra pas de la même façon une clairière que l’abeille sensible à des fréquences lumineuses inaccessibles à l’humain ou le chien qui est avant tout un être vivant olfactif. Chaque animal habite donc son monde d’une façon très subjective, mais cette subjectivité est une subjectivité d’espèce. […]
La question des mondes subjectifs de l’animal est en effet plus que jamais à l’ordre du jour. On s’aperçoit de plus en plus de leur complexité incroyable et des difficultés énormes que nous avons, nous humains, à les appréhender de façon juste — à la fois éthiquement juste et épistémiquement juste. On peut toujours dire que les animaux n’ont pas de conscience, comme on peut prétendre que l’économie planétaire actuelle se porte comme un charme : l’Occidental, en particulier éduqué, a toujours une capacité phénoménale à prendre ses désirs pour des réalités. […]
Les Umwelten non humains, c’est-à-dire les environnements globaux des animaux envisagés du point de vue de celui qui vit dedans et qui vit avec, ne sont pas inaccessibles à l‘humain ; ils sont tout simplement d’accès difficiles.
Qui s’intéresse à l’éthologie et à la psychologie comparée contemporaines sera donc passionné par la multiplication des travaux qui explorent les mondes subjectifs de l’animal, c’est-à-dire précisément les façons qu’a l’animal de s’engager dans des environnements qu’il finit par faire siens — ce que sont finalement les umwelten. […]
Nous pouvons explorer les Umwelten des animaux de très nombreuses façons, mais nous ne le faisons habituellement que très partiellement par manque de curiosité et sécheresse d’imagination. […]
Le message d’Uexküll reste donc toujours d’une actualité brûlante : les animaux ne sont ni des machines réactives ni des machines computationnelles, mais des êtres vivants dotés d’une sensibilité qui interprète le monde, les autres êtres vivants, et lui-même leur permet de s’approprier ce qui devient leur environnement et qui s’appuie sur des émotions, des attentes et des croyances qui s’organisent en fonction des capacités physiologistes de l’espèce. Que ces mondes intérieurs ne soient pas superposables à ceux des humains n’en disqualifie pas l’existence pour autant. Qu’ils ne puissent jamais être transparents à l’humain n’implique pas pour autant qu’ils ne le soient jamais un peu.
Voilà qui encourage qui se livre à une réflexion en ce domaine. S’approchant vraiment de ce discours, mon cher ami Simon et moi-même avons créé sur ce site une section « Portes, synanthropie, éthologie » qui, à l’occasion, vient vraiment nourrir ce sujet.
Le texte ci-haut est du philosophe français Dominique Lestel qui a bien voulu accepter de rédiger la préface du livre de Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Éditions Payot & Rivages, 2010, p. 8-22.
Ce livre important comme contribution à la vie ne se trouve pas nécessairement facilement en librairie, mais tout bon libraire saura vous le commander. Dans mon cas, mon libraire en a passé la commande en France et l’ouvrage m’est arrivé après deux mois.