Les hivers sont difficiles pour le pauvre monde en ville
À la une de La Presse, édition du 15 février 1901.
On dirait qu’en voyant l’hiver s’acheminer à grands pas vers sa fin, quelque mauvais génie semble s’acharner de plus en plus à torturer les nécessiteux, et à les conduire jusqu’aux dernières limites de la plus sombre misère.
Le baromètre infaillible qui seul peut nous permettre de constater avec certitude le degré plus ou moins élevé de pauvreté, chez une certaine classe de notre population, c’est le Refuge de nuit.
De jour en jour, le nombre des malheureux qui viennent chercher un asile dans cette institution va en augmentant.
Avant-hier soir, près de cent cinquante individus y sont venus passer la nuit. Il y en avait de couchés sur des tables, et jusque sur le plancher.
Peu avant 9 heures, M. Ls Berthiaume vit entrer un pauvre diable qui n’avait pas même de chaussure en mauvais état le protégeant contre le froid. La rigueur de la température venait de le chasser de ses appartements, situés sur la rue Saint-Paul.
Un autre malheureux père de famille arrivait à pied de St-Césaire, distance de trente-cinq milles [quelque 56 kilomètres] de Montréal. Il avait les oreilles et les joues gelées.
C’est un monsieur du nom de Georges Thibault, qui s’en vient chercher de l’ouvrage à la ville, afin de pouvoir donner du pain à sa famille.
Chaque soir, un grand nombre de femmes, parmi lesquelles des vieilles de plus de 70 ans, viennent supplier les autorités du Refuge d’avoir pitié d’elles et de leur donner un abri.
On est forcé de les renvoyer parce que le charbon fait défaut pour réchauffer leur département.
Bien souvent nous avons vu de ces malheureuses s’en retournant en pleurant. Forcées d’errer longtemps encore à travers nos rues, avant de trouver un asile.
La tâche des directeurs du Refuge devient de plus en plus ardue.
L’an dernier, la ville les pourvoyait de charbon, c’était autant de pris ; mais, cette année, les échevins, jugeant sans doute qu’il est indigne de leur titre de Réformateurs de soulager la misère, ont retranché du budget les argents affectés à cette œuvre de charité.
Si madame Bennati n’avait eu la généreuse idée de préparer pour le 26 de ce mois un concert au bénéfice des nécessiteux du Refuge de nuit, M. Rodias Ouimet aurait été contraint, ces jours-ci, de discontinuer son œuvre humanitaire, en renvoyant sur la rue les cent cinquante malheureux qu’il héberge presque chaque soir.