Qu’est-ce donc que le génie ?
De grands penseurs du 20e siècle se sont arrêtés à cette question.
Immédiatement, Arthur Kœstler et Vladimir Jankélévitch me viennent.
Le philologue, latiniste et historien français Pierre de Labriolle, lui, séjournant de 1898 à 1901 à l’Université Laval de Montréal, y va d’une interprétation qui est pas mal du tout.
Le génie est essentiellement créateur, le talent suit des voies tracées. Le génie est avant tout lui-même. Racine, dans ses deux premières pièces, fait d’abord du Corneille, mais après Andromaque, il fait du Racine, il est lui-même, il a du génie ; Hugo en commençant d’abord par imiter Châteaubriand ne fit preuve que de talent, mais lorsqu’en 1826 il secoua cette tutelle pour devenir soi, il montra son génie.
Cette faculté d’invention procède d’abord de l’imagination qui est ou créatrice ou reproductrice.
L’imagination est reproductrice lorsque l’on se représente des objets déjà connus ou vus antérieurement. Elle est créatrice ou active lorsqu’elle reproduit des idées ou des images nouvelles en combinant des idées déjà acquises.
Au fond du génie, il y a toujours de l’imagination créatrice. Tous les détails n’apparaissent pas du premier coup. Il surgit d’abord une idée propre à l’homme de génie, qui adapte, ajuste et polit cette idée.
Dans le domaine de la science, l’homme de génie doit également plus à l’imagination qu’au raisonnement, témoins Galilée qui inventa le pendule en voyant osciller la lampe de la Cathédrale de Pise, et Newton qui résolut le problème de l’attraction de la terre en voyant tomber une pomme d’un arbre. […]
L’inspiration qui anime les grands écrivains et les grands créateurs, et que l’on peut comparer avec Buffon, à un coup d’électricité, ne dépend pas de la volonté individuelle. D’un autre côté, il n’est pas inutile de la solliciter comme Rousseau qui écrivait toujours la tête échauffée par un soleil de plomb.
Tous les grands créateurs ont eu leurs moments de stérilité. C’est ce qui fait que l’on trouve chez eux des banalités à côté de si belles choses. Quand l’inspiration s’empare d’un écrivain, elle agit par une sorte de poussée intérieure qui force à créer. L’inspiration s’accorde avec certains états physiologiques.
Mais, en résumé, le génie n’a jamais pu être scientifiquement expliqué. Là où il y a le génie littéraire ou scientifique, il y a toujours force d’imagination créatrice accompagnée d’énergie et d’inspiration.
La Presse (Montréal), 12 février 1901.
À nouveau; toujours le même constat : la route du génie n’est pas celle de la raison, promue par Aristote et Descartes. C’est bien plutôt l’imagination créatrice.
Très intéressant propos effectivement. D’ailleurs, je m’intéresse depuis peu à Jankélévitch, surtout pour ses réflexions sur le temps présent et l’étonnement. D’ailleurs, la BNF (http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.v_jankelevitch.html) propose une expo sur lui ces jours-ci.
Voir aussi ce récent petit reportage de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/presences-de-jankelevitch
O ! Merci pour ces références ! je vais m’y rendre. Ce Jankélévitch est vraiment un grand penseur du 20e siècle.
Formidables, ces deux références à Jankélévitch. Pour qui veut vraiment avoir une bonne idée de ce penseur, voilà beaucoup de matière. Merci beaucoup.
Pour Jankélévitch, j’ai mis son livre « L’Aventure, l’ennui, le sérieux » sur ma liste à lire : https://www.goodreads.com/book/show/12246095-l-aventure-l-ennui-le-s-rieux
Manifestement, le discours qu’on tient dans l’annonce de ce livre nous laisse croire que, vraiment, il faut être attentif à cet ouvrage. Je m’informe s’il est disponible dans mon coin de pays.