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Vous arrive-t-il d’espérer une complice ?

En voici une. Immense écrivaine. Clarice Lispector. Elle va vous amener sur des terrains qui sont vôtres et dont vous n’osez confier la teneur à personne.

D’abord, n’hésitez pas si vous arrivez à mettre la main sur son Agua Viva, reconnu comme chef-d’œuvre dès sa parution en portugais en 1973. À Paris, [Éditions] des Femmes publiera le livre en 1980 en édition bilingue.

Et voici que nous arrive au Québec, en poche ou compact, selon votre expression, une œuvre posthume de cette grande dame, chez Des femmes Antoinette Fouque, Un Souffle de vie (pulsations), parue en 2018. Le quatrième de couverture nous dit que ce sont des matériaux presque bruts qui irradient les questions que se pose Lispector face à Dieu, au temps, au monde et à son histoire, aux êtres vivants ou inanimés. Clarice imagine un dialogue entre elle qu’elle prénomme L’auteur et une femme-personnage qui est son double, Angela.

Écoutez, je prends possession à l’instant du livre. Je n’ai même pas lu la première page. Mais j’ouvre l’œuvre au hasard. Voici ce que je lis. Vous aurez une bien bonne idée de la langue et du ton de cette chère Brésilienne née Ukrainienne.

Angela parle ici du chien, de son chien :

Oh, doux mystère animal. Oh, joie douce. Quelle fascination. Mais quelle terrible fascination, ce défi de la bête ! Oh, doux martyre de ne pas savoir parler mais seulement d’aboyer. C’est toi qui me demandes s’il est doux de mourir. Moi non plus je ne sais pas s’il est doux de mourir. Jusqu’à présent je ne connais que la mort du sommeil. Je vis en me tuant toutes les nuits.

Avoir un contact avec la vie animale est indispensable à la santé psychique. Mon chien me revigore toute. Sans parler qu’il dort parfois à mes pieds en emplissant la chambre de sa chaude vie humide. Mon chien m’apprend à vivre. Il est seulement « étant ». « Être » est son activité. Et être est ma plus profonde intimité. Quand il s’endort sur mes genoux, je veille sur lui et sa respiration bien rythmée. Et — lui immobile sur mes genoux — nous formons un seul tout organique, une vivante statue muette. C’est quand je suis lune et suis les vents de la nuit.

Parfois, à force de vie mutuelle, nous nous gênons. Mon chien est aussi chien qu’un homme et aussi homme. J’aime la chiennerie et l’humanité chaude des deux.

Le chien est un animal mystérieux parce qu’il pense presque, sans dire qu’il sent tout sauf la notion du futur. Le cheval, à moins qu’il soit ailé, a son mystère résolu en noblesse et le tigre est d’un degré plus mystérieux que le chien parce que son comportement est encore plus primitif.

Le chien — cet être incompris qui fait son possible pour expliquer aux hommes ce qu’il est…

Et L’Auteur de répondre à ce discours d’Angela :

Le chien d’Angela semble avoir une personne en lui. Il est une personne enfermée par une condition cruelle, Le chien a une telle faim de gens et d’être un homme. C’est crucifiant ce manque de conversation d’un chien.

Si j’avais pu décrire la vie intérieure d’un chien, j’aurais atteint un sommet. Angela aussi veut entrer dans l’être-vivant de son Ulysse. C’est moi qui lui ai transmis cet amour des animaux. […]

 

Clarice Lispector, Un Souffle de vie (pulsations), Paris, des Femmes Antoinette Fouque, 2018, p. 71s. Traduction du portugais (Brésil) par Jacques et Teresa Thiériot.

J’ai trouvé ce livre chez mon libraire, qui en est un de qualité. Vous en avez probablement un également près de chez vous.

Vous aurez sur ce site d’autres évocations de Clarice Lispector.

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