Saviez-vous que les médecins nous soignent comme si nous étions des êtres prédarwiniens ?
Charles Darwin, L’Origine des espèces, c’est 1859.
Le professeur et biologiste Luc-Alain Giraldeau, directeur général de l’Institut de la recherche scientifique (INRS) du Québec, a publié dernièrement une solide réflexion sur l’évolution, l’hérédité et la culture, Dans l’œil du pigeon. Serions-nous toutes et tous des gens beaucoup plus vieux que nous croyons, nés avant les réflexions importantes de Darwin sur l’évolution ?
En conclusion, Giraldeau arrive au constat que notre médecine « demeure une pratique scientifique fortement empreinte de biologie, mais d’une biologie de la mécanique prédarwinienne ».
Le discours de ce scientifique est éclairant. « Selon la médecine, le patient est un mécanisme extrêmement complexe et délicat, une machine toujours prompte à se dérégler. Le rôle du médecin consiste donc à rétablir les rouages à partir d’une connaissance précise des mécanismes sans le moindre besoin de se demander pourquoi l’organisme est ainsi construit. Or, quelle part de ces « dérèglements » apparents est une réponse adaptative à des perturbateurs ? Quel éclairage nouveau peut être fourni en réfléchissant à la maladie à partir d’une logique de l’évolution ?
Par exemple, l’usage des antibiotiques s’est jusqu’à très récemment répandu comme si ces produits combattaient un ennemi fixe et immuable, incapable de se transformer. Or, les bactéries évoluent très rapidement. En les exposant à répétition à un poison mortel, on a réussi à tuer toutes celles qui y étaient sensibles. Mais celles qui étaient moins affectées ont laissé des descendants et ont fini par gagner la course à la représentation. Ainsi sont apparues les souches résistantes aux antibiotiques.
En adoptant une perspective évolutive, on peut se demander s’il est toujours pertinent d’investir dans la conception de nouvelles molécules antibiotiques ou s’il ne vaudrait pas mieux aborder le problème différemment. […]
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Je cite maintenant mon propre cas. Il faut que je vous dise que, depuis ma bien tendre enfance, je vis une belle histoire avec mon cœur. À cinq ans, on m’apprend qu’on peut percevoir le pouls du cœur en apposant simplement le bout du doigt sur le poignet intérieur. J’exultais lorsque je percevais ces battements. Ils me confirmaient que j’étais en vie. Ceux-ci n’étaient pas toujours réguliers, mais j’étais si heureux.
Il y a une année et demi, donc âgé quand même, je passe un électrocardiogramme, une représentation graphique de l’activité électrique de mon cœur.
Résultat : catastrophe. Mon cœur fait des extrasystoles, c’est-à-dire y va de battements cardiaques supplémentaires, en « extra » ou encore « prématurés », soit avant leur temps prévu. À la vérité tout le monde en fait. Appel aux armées : tapis roulant, pose d’un holter, c’est-à-dire une machine pour enregistrer l’électricité du cœur pendant plusieurs heures, la première fois durant six heures, les deux autres fois, 24 heures. Deux échographies du cœur (que j’ai aimées). Trois autres électrocardiogrammes. Et médicaments à prendre. Médecins affolés. Il faut dompter ce cœur, jouer de la bride comme pour un cheval. Ce faisant, mon cœur qui avait sagement traversé le temps s’est trouvé complètement débalancé, avec ces rencontres qui ne finissaient plus, et beaucoup à cause des médicaments.
Je crois que nous sommes vraiment rendus à l’étape où il faut nous prendre en main, « raisonner » nos médecins, fussent-ils spécialistes et généralistes, leur faire percevoir que nous avons une bonne bête à notre service, que nous sommes bien chanceux de l’avoir, et qu’il faut comprendre et accepter le rythme qu’elle s’est donné.
Il faut maintenant expliquer à nos médecins, poliment, que tous les vivants ne cessent d’évoluer, que c’est de cette manière que la vie s’en est tirée face à la mort, qu’il ne faut plus qu’on se serve de nous de telle façon que notre rythme personnel, défini, affuté depuis notre naissance, soit chamboulé par la médication, que nous sommes des bêtes, qui devons écouter notre corps et prendre sa défense lorsque nécessaire. Le temps est venu à la fin.
Et vous imaginez que les médecins ne sont pas seuls dans cette histoire. Y sont dans la pyramide également les pharmaciens et les compagnies pharmaceutiques.
Il ne vous est pas défendu, bien au contraire, de lire Luc-Alain Giraldeau, Dans l’œil; du pigeon. Évolution, hérédité et culture, Montréal, Boréal, 2016, 232 pages. Il est disponible maintenant en poche au Boréal.
Si ce sujet vous intéresse, voici cet échange à l’émission Medium large de la Société-Radio-Canada, entre René Wittmer, Denis Roy et Cara Tannenbaum sur le thème « Il faut réduire le fardeau médicamenteux des aînés ».
Bonjour M. Provencher,
Chronique très intéressante.
Petite coquille dans l’avant-dernier paragraphe que je vous signale : c’est Luc-Alain Giraldeau, pas Luc-Antoine.
Merci pour la correction!
Voilà, correction faite, chère Madame.
Je suis enfin venue la lire cette chronique, qui me concerne vu l’annee que j’ai de plus que toi. Je t’ai dit tout le bien que m’a fait l’abandon de deux médocs. Je suis prudente et prend rigoureusement ma pression, bien sûr. Elle est parfaite et je ne me suis jamais sentie aussi bien depuis 5-6 ans. Je voulais te le confirmer. Merci encore d’avoir allumé ma lanterne.
Il faut veiller, il faut veiller. Ne pas laisser notre sort aux mains de d’autres, fussent-ils médecins. Et je crois qu’alors que cela fait 50 ans que l’assurance-maladie est en vigueur sous une certaine forme au Québec, il faudrait maintenant une grande réflexion sur ses grandeurs et ses misères. On sait qu’on a placé au sommet du fonctionnement le médecin généraliste et que le ou la spécialiste et le ou la pharmacien doivent passer par le généraliste. Y a-t-il, des cas, des occasions, où il faudrait éviter cette « royauté » des généralistes, par exemple ? Y’a place maintenant à un grand questionnement sur cette institution que nous nous sommes donnée.