La vie étonnante de la Belle dame
On l’appelle aussi Vanessa cardui, Painted Lady et, en Europe, Vanesse des chardons. Elle appartient aux vanesses et aux nymphalis, des papillons voyageurs à la longue espérance de vie, atteignant parfois jusqu’à une année. Chez les papillons non sédentaires, une vie plus longue est nécessaire pour assurer les voyages.
On a observé qu’un ensemble de conditions naturelles bénéficient à ces grands voyageurs. En 1978, par exemple, un hiver et un printemps secs font disparaître du sud du Texas la majorité des guêpes qui parasitent les larves de papillon. De bonnes pluies en mai et juin favorisent l’éclosion de deux à trois générations de larves. En juillet, les pluies de la tempête tropicale Amelia, encore plus abondantes, permettent aux chenilles de se convertir en papillons et un demi-milliard d’entre eux entreprennent de migrer. [Russell :103s.]
La Belle dame est le papillon diurne le plus répandu sur Terre et le plus abondant. Elle ne peut survivre aux froids extrêmes. Aussi doit-elle gagner le Sud pour y passer l’hiver, puis refaire le chemin en sens inverse pour le printemps et l’été. Son succès de vie vient beaucoup du fait que sa chenille est très polyphage. Tout en préférant les composées, elle peut se nourrir d’une grande variété de plantes [Handfield : 162]. Immédiatement, on constate la fragilité d’un autre grand voyageur, le Monarque, dont la chenille, elle, a nécessairement besoin de l’Asclépiade commune et non de d’autres plantes pour survivre.
Au printemps, de l’autre côté du monde, la Belle dame quitte l’Afrique centrale pour gagner la Finlande. Il lui faut six générations successives, semble-t-il, pour aller de l’Afrique tropicale au cercle arctique, une distance de 14 400 kilomètres, un parcours plus long que celui du Monarque en Amérique du Nord, qui connaît lui aussi cinq ou six générations lors de sa remontée. Au Royaume-Uni, Richard Fox, responsable d’enquête de la Butterfly Conservation, disait en 2012 de la Belle dame : Cette toute petite créature, pesant moins d’un gramme, dotée d’un cerveau de la grosseur d’une tête d’épingle, sans aucune occasion d’apprendre de quelqu’un de plus vieux qu’elle, réalise cette migration intercontinentale qui tient de l’épopée [Beament].
En 2017, nous avons vécu en Amérique du Nord une spectaculaire migration estivale continentale, comme ce lépidoptère en est capable. Remontée du sud, elle est apparue au Québec à l’été déjà venue. Le temps de pondre et, en quelques semaines, de nouvelles Belles dames s’ajoutent aux premières. Déjà, le 28 juillet, j’aperçois chez moi une première bouffée de ces petites qui sont de véritables œuvres d’art. Le 9 septembre, mon amie Nicole, naturaliste, me signale qu’elles sont une cinquantaine chez elle, en Montérégie. Quelques heures plus tard, les revoici chez moi. Et elles sont partout, il me faut regarder où poser le pied. On m’écrit qu’on la voit en très grand nombre sur l’autoroute de Trois-Rivières à Louiseville, à Pointe-aux-Trembles, en banlieue de Montréal, et aussi au nord qu’à Ville-Marie, Béarn et Lorrainville. Et l’événement dure. Je retrouve la Belle dame, le 24 septembre, en plein cœur de la ville de Québec, rue Cartier, dans l’espace gazonné d’une station-service, puis, le 1er octobre, sur la place de l’église à Cap-Santé.
Peu de médias québécois en parlent. Tout de même. Le journaliste Vincent Larin l’appelle le papillon orange et y va d’un papier dans son journal [Larin]. La journaliste Odile Tremblay la signale dans la Petite Bourgogne, à Montréal, faisant de l’ombre à des musiciens de jazz [Tremblay].
Lorsque la Belle dame se repose un court moment, elle garde les ailes ouvertes, présentant le noir et l’orange, un véritable avertissement au prédateur, un vrai pensez-y bien, car ces couleurs développées chez les papillons sont synonymes de mort prochaine. Le Monarque, par exemple, déjà toxique, les propose également. Par ailleurs, quand la Belle dame tient ses ailes fermées l’une sur l’autre, la couleur brune du dessous permet souvent de la confondre avec le milieu ambiant. Quand convaincue d’être reconnue, elle active alors ses ailes antérieures pour montrer un peu d’orange. À quelques coups d’ailes, le Geai bleu, qui rêve déjà de la manger, devient soudain tout confus. « Vois-je là quelque chose de coloré ou un camouflage ? » [Russell : 71]
Le 7 octobre 2017, après une nuit de moins 3, j’aperçois la dernière Belle dame de cette très grande migration en mon lieu. Elle n’est pas seule cependant. Un autre migrateur l’accompagne, un cousin, le Vulcain (Vanessa atalanta, Red Admiral). Étant de la même famille, celle des vanesses, peut-être communiquent-ils ensemble, qui sait.
La Belle Dame, présente à l’occasion dans les champs de soja, mais pouvant se nourrir de plus de 100 plantes hôtes, n’apparaît pas comme un ravageur économique [Morissette-Blanchet].
Beament, Emily, « Revealed : The secrets of UK’s migrating painted lady butterfly population », Independant, 2012, oct. 18 (https://www.independent.co.uk/environment/nature/revealed-the-secrets-of-uks-migrating-painted-lady-butterfly-population-8216692.html).
Handfield, Louis, Le Guide des papillons du Québec, Saint-Constant, Broquet, 2011.
Larin, Vincent, « Une migration sans précédent de papillons orange au Québec », Le Journal de Montréal, 17 septembre 2017 (https://www.journaldemontreal.com/2017/09/17/une-migration-sans-precedent-de-papillons-orange-au-quebec).
Morissette-Bélanger, Marie-Hélène et alia, La Belle-Dame (Vanessa cardui), Québec, Division de la phytoprotection, Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, 31 juillet 2011 [https://www.agrireseau.net/lab/documents/Fiche%20technique%20Vanessa_Final.pdf].
Russell, Sharman Apt, An Obsession with Butterflies, Cambridge, MA, Perseus Publishing, 2003.
Tremblay, Odile, « Rêves d’harmonie sous canicule attardée », Montréal, Le Devoir, 23 septembre 2017 (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/508632/reves-d-harmonie-sous-canicule-attardee).
Fascinante migration que celle de la Belle dame. Et j’aime bien cette appellation de ‘Painted Lady’ qu’on lui a donnée. Merci de partager ces très belles photos, Jean.
L’histoire de cette Belle dame est si riche qu’il faut se lever tôt pour réunir quelques morceaux qui la respectent et dire un brin ce qu’elle est. Merci, chère, de ce commentaire.
Les photos sont très belles et l’article fort intéressant.
Je peux imaginer que l’entomologiste Jean-Henri Fabre aurait bien apprécié ce genre d’article sur la Belle dame s’il était vivant.
Merci beaucoup, cher Claude. Cette Belle dame est vraiment attachante.