Hommage à la vie lente de la nature
Retour à madame Virginie Maris et son ouvrage La part sauvage du monde. Je déguste lentement ce livre tout à fait d’actualité.
Ici, l’auteure s’attarde sur le rythme de la Nature et cite d’abord Diderot :
« La nature est opiniâtre et lente dans ses opérations. S’agit-il d’éloigner, de rapprocher, d’unir, de diviser, d’amollir, de condenser, de durcir, de liquéfier, de dissoudre, d’assimiler, elle avance à son but par les degrés les plus insensibles. L’art, au contraire, se hâte, se fatigue et se relâche. La nature emploie des siècles à préparer grossièrement les métaux ; l’art se propose de les perfectionner en un jour. La nature emploie des siècles à former des pierres précieuses, l’art prétend les contrefaire en un moment. »
Puis elle reprend le fil :
Ce temps long de la nature est aux antipodes de l’agir humain technologique. Non parce qu’il est humain, mais parce qu’il est technologique. Il appartient au monde de l’instant, de la vitesse, le monde en accélération permanente de la « tyrannie du présent ». Préserver la nature, c’est refuser que le régime de l’artifice et de l’urgence dicte les priorités jusque dans les territoires que l’on a justement épargnés de la frénésie des hommes modernes.
La ligne de démarcation est ténue entre le coup de pouce et l’ingénierie. Il n’y a pas de réponse défjnitive à la question des moyens appropriés pour conserver la nature ; néanmoins, dans un monde si massivement conçu et construit par et pour les humains, les aires protégées et les milieux peu anthropisés sont les témoins privilégiés de l’histoire longue de la vie, une histoire dont nous ne sommes que des acteurs récents, bien que fort tapageurs. […]
Résister aux sirènes de la technologie, ne pas chercher à fabriquer la nature mais bien plutôt l’accompagner dans ses méandres, réparer ça et là des dommages afin qu’elle reprenne sa route, ôter de son chemin quelques embûches et délier ses entraves. Voilà qui devrait servir de guide pour discerner les bons outils des mauvais. […]
Penser ainsi devrait inviter les conservationnistes non pas à importer la logique d’ingénieur et le désir de contrôle propres à la production d’artéfacts à l’intérieur des réserves, mais au contraire à exporter dans le monde manufacturé et géré par les humains un peu de l’inventivité et de la spontanéité dont la nature sait faire preuve, pour peu qu’elle ne soit pas totalement séquestrée, ni harnachée de nos artifices.
Virginie Maris, La part sauvage du monde, Paris, Éditions du Seuil, 2018, p. 141-143.
La photographie de la chercheure Virginie Maris apparaît sur le site du Centre de recherche en éthique de l’université de Montréal.