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Le petit livre étonnant de Bruno Gay-Lussac (1918-1997)

Ce romancier français a proposé à Gallimard ce qu’il dit être un récit. Mais tout va sous la forme de moments mis en mots.

Le quatrième de couverture nous dit : Une auberge isolée, en hiver, près de l’océan. […] Paysage désolé où les rochers, le phare, la mer et les hommes ont une égale présence hors du temps linéaire, comme s’ils n’étaient là que pour signifier au voyageur l’immobilité de tout, dans une durée imaginaire. Extraits.

 

Réveillé de bonne heure, il écoute.

Il mesure son humeur à la qualité du plaisir à entendre la mer.

Debout, il se plie aux règles de l’hygiène avec une lenteur calculée. Il, observe les mouvements du village, un éclat de soleil sur le parquet, le crépitement de la pluie contre la gouttière.

Ces phénomènes ont soudain l’importance des accidents mécaniques de son propre corps. Il constate des rapports, d’inexplicables ressemblances entre ces choses et sa chair.

Il en tire un sentiment d’égalité entre sa personne et ce qui l’entoure.

 

La mer est enfermée dans le vent.

Il n’entend que lui.

Au réveil, entre les draps durs.

À midi, dans la salle où il mange seul à la table de marbre gris.

Le soir, sur la route qui conduit aux algues et aux rochers étroits.

Le bruit du vent, plus loin que le bruit le plus lointain. Tout le jour et toute la nuit, Dès la première lueur jusqu’au premier pas de l’aube.

À cause du vent, change toute chose ; la chaise de paille, la serrure, le regard abrité de la fille qui sert à table.

 

Le temps le surveille.

Inlassable répétition.

En lui, un ressort se durcit.

Il trouve une force dans l’usure.

Ni l’instinct ni la volonté ne participent à cette création.

Noyau étincelant que l’uniformité de sa vie, peu à peu, dénude.

Il pense cette étoile.

 

Quand il songe, ce n’est pas lui qui se recueille.

Du dedans, l’œil ne procède plus par enchaînement d’images. Nulle idée. Le flux vient de l’extérieur et se déverse dans la jarre creuse de sa conscience. Chaque trace ne se perpétue que dans celle qui lui succède et l’efface.

Sauf le vent, par son écho, prisonnier.

 

Assis dans le vestibule. Il fume.

Un sac de voyage au pied de l’escalier.

Une femme est là sur le canapé. Le masque n’a pas de saison.

Elle lui confie qu’elle est ici pour le bon air. Mais elle craint le vent, le bruit du vent. Il prétend qu’on s’y habitue, qu’il y a des journées calmes, de longs moments de silence.

La voyageuse lui dit un bonsoir meurtri.

Il portera son sac jusqu’à la chambre.

 

Il frôle sa mémoire et s’en éloigne.

Ou bien, il s’y enfonce à la manière d’un scaphandre. Avec des mouvements de rêve, il descend parmi les épaves à la recherche d’objets disparus.

Ainsi a-t-il l’illusion de retrouver ce qu’il croyait destiné à une immersion éternelle.

 

Bruno Gay-Lussac, L’heure, Paris, Gallimard nrf, 1979.

L’illustration est tirée de Louis Cousin-Despréaux, Les leçons de la nature présentées à l’esprit et au cœur, Tours, Alfred Mame et Fils, 1885.

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