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Il est urgent de vraiment nous brancher à la Nature

Le grand écologiste et professeur québécois Pierre Dansereau (1911-2011) a passé une partie de sa vie à réclamer le décloisonnement des savoirs. Et surtout ne pas éviter de passer de la poésie à la science et de la science à la poésie. De marier les deux.

Durant les années 1970, constatant le désordre dans l’environnement et la nécessité de réorienter nos buts communs avec « l’espoir que la qualité de la vie peut être maintenue par une joyeuse austérité », Dansereau publie une réflexion qu’il nomme La terre des hommes et le paysage intérieur.

Il remonte à la Grèce ancienne avant de passer au christianisme. « Pour eux [les Grecs], écrit-il, aucune explication de la place et du rôle de l’homme n’était convaincante sans les mystères exemplaires des héros et des dieux, et c’était le jeu dionysiaque qui exprimait le mieux leur accord avec la nature ».

Le christianisme, en répandant la mystique de la patrie céleste et du salut personnel, arrachait l’homme à la nature, lui faisait rapporter ses gestes quotidiens à une assomption qui le dégageait de son milieu. Alors que les agapes des premiers chrétiens avaient une résonance du ton dionysiaque, la discipline du Moyen-Age a rencontré leur unanimité dans une obéissance formelle au précepte et dans la suprématie du surnaturel. C’était ouvrir la voie au mépris des besoins physiologiques et limiter les accords avec le monde physique.

Puis vinrent la Renaissance, la Réforme, le siècle des Lumières et la science moderne, développée dans le contexte occidental judéo-chrétien, qui plaçaient l’homme au centre de la nature, à moins que ce ne soit au sommet, écrit Dansereau. Passons maintenant à des échappées qui apparaissent dans ce livre.

C’est au niveau du paysage que la véritable perception s’exerce, que la relation peut être décelée, que l’échange entre l’environnement et l’organisme peut être vue : transpiration, enracinement, croissance, floraison, dispersion, tombent tous sous le coup de l’observation. Tous les sens avisent l’observateur surtout s’il voyage à pied, des différences dans la couverture végétale : l’air humide et frais sous le dais des épinettes et la chaleur sèche d’un champ avoisinant de verges-d’or, le feuillage sombre et les émanations sulfureuses dans le marécage de quenouilles. Ces chocs sensoriels passagers ont tous une connotation écologique : le contenu résineux du sapin, la couleur et l’odeur de la verge-d’or, la libération des gaz par la terre noire sous les quenouilles correspondent à des mécanismes de défense des arbres, à des moyens d’attirer les insectes chez les herbes, à une activité microbiologique dans le sol congestionné. […]

Le temps est sûrement venu pour une réconciliation des sciences naturelles et des sciences de l’homme, et en fait pour une reconnaissance de la découverte authentique par les moyens artistiques aussi bien que scientifiques et explicitement rationnels. Le développement du processus de l’apprentissage lui-même et des ouvertures émotionnelles dans le cheminement de l’investigation scientifique jettent un éclairage indispensable à la compréhension de toutes les découvertes, grandes et petites. […]

Il y a trop peu de monographies locales qui rapportent dans leur fin détail la marche des saisons et qui identifient le commencement, le maximum et l’aboutissement de chaque processus dans chaque espèce commensale.

 

Pierre Dansereau, La terre des hommes et le paysage intérieur, Montréal, Éditions Leméac, 1973, 192 pages.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Jacques #

    Le magnifique Paroles d’un bouleau jaune de Michel Leboeuf (MultiMondes, 2018) va, selon moi, dans le sens que vous évoquez, celui des saisons et des mystères apprivoisés, quelques-uns du moins. L’accent du biologiste milite pour circonscrire non pas seulement l’individu, mais les espèces et l’entraide si essentielle, arbre, papillon, oiseau, champignon…, « échosystème » de bord en bord. Merci pour votre beau texte dans lequel on respire à plein.

    29 octobre 2018
  2. Jean Provencher #

    Merci à vous, Monsieur Jacques. Un jour, je fus bien heureux de rencontrer Pierre Dansereau, grand monsieur, qui s’est battu à sa façon.

    29 octobre 2018

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