La dormance de l’hiver
De tous les livres du biologiste et botaniste Jean-Marie Pelt, j’aime particulièrement Fleurs, fêtes et saisons, car l’auteur colle au calendrier, parle de nombre de plantes et remonte aux croyances anciennes lorsqu’il le peut.
Voici, par ailleurs, son texte sur la dormance de l’hiver.
Les plantes de régions tempérées se sont si parfaitement adaptées à l’hiver qu’elles ne peuvent plus s’en passer. Plantées dans un pays sans hiver, sous l’équateur par exemple, elles meurent aussitôt. Par une de ces habiles adaptations dont la nature a le secret, elles ont réussi, de ce qui serait un handicap dramatique pour une plante tropicale, à faire un avantage certain : celui de survivre longtemps à l’état de graines et de résister ainsi à tous les aléas climatiques et à toutes les avanies auxquels une plante vivante est normalement soumise.
Tel est l’enseignement de l’hiver : il a appris aux plantes à faire le « gros dos », à être patientes et à attendre que « l’orage passe »… Une leçon que les hommes pressés que nous sommes ont grand intérêt à méditer, eux qui font rigoureusement l’inverse : ils s’agitent en hiver, quand plantes et animaux hibernent, et se reposent en été lorsque la végétation atteint à son paroxysme.
Ainsi avons-nous inventé pour notre compte le rythme des saisons. Seuls les paysans continuent à fonctionner au rythme des champs, se levant plus tard en hiver et consacrant la mauvaise saison aux petits travaux. Les sociétés urbaines et industrielles qui se sont déconnectées du rythme des saisons fonctionnent « contre nature » et elles ont tort. Il faudrait dormir davantage en hiver, ne point trop s’exposer aux grands froids et mieux profiter des saisons clémentes pour déployer une activité maximale. Ce qui n’interdirait nullement la sieste en période de fortes chaleurs.
Entre l’arbre qui produit des graines et persiste néanmoins à l’état de squelette pourvu de bourgeons dormants et l’herbe annuelle qui meurt en automne, ne laissant sur le sol que ses graines, il existe des intermédiaires. Ce sont les plantes vivaces des bois, comme le muguet, la scille, le sceau-de-Salomon, ou celles des jardins, comme la tulipe, le glaïeul, le dahlia, qui demeurent sous le sol à l’état de bulbes ou de tiges souterraines jusqu’au retour du printemps ; alors seulement jaillit une nouvelle tige à partir de leur bourgeon terminal. Quelques espèces herbacées comme le fraisier ou la pervenche conservent même leurs feuilles au ras du sol sous la neige.
Mais, dans tous les cas, la vie est ralentie, pour ne pas dire complètement arrêtée. La nature retient son souffle, concentre ses énergies à l’extrême dans l’attente du soleil.
Jean-Marie Pelt, Fleurs, fêtes et saisons , Paris, Librairie Arthème Fayard, 1988, p. 37s.