Skip to content

Emprunter la route qui mène au silence, le silence comme un but

Dans son livre très zen, L’Inconnu sur la terre, Jean-Marie Gustave Le Clézio évoque une route, une action  sur soi-même où, rapidement, on parvient à des régions étrangères, tout à fait neuves, où l’esprit se trouve comparable à la lumière.

« Le corps cesse d’être ce réseau d’habitudes, écrit-il, cet employé routinier et un peu las avec lequel vous vous étiez confondu ; voici qu’il est sorti de son sommeil et qu’il vit. […]

« Ah, comme il s’était cru le premier, ce corps, avec toutes ses vieilles habitudes acquises depuis la naissance ; avec toute sa nature, ses instincts, son hérédité ! Le voilà bien étonné. Tout à coup, on n’accepte plus ses excuses, les complaisances qu’il déguisait en « nature ». Tout à coup on ne cède plus à ses caprices. […]

« Alors on découvre une autre aventure, qui commence avec ce pouvoir sur soi-même. […] Elle vous oblige à vivre très haut, dans la pureté et l’éblouissement toujours. […] C’est une force qui s’apprête en vous, non pour modifier le monde, ni pour vaincre les autres, mais pour être soi-même, jusqu’à la perfection. […] C’est une force de silence, une condensation de la volonté, une énergie immobile. Au-dehors, on ne voit rien. Il ne se passe rien. Seuls peut-être les yeux brillent un peu plus, parfois au fond des pupilles passe la lueur intense de l’éclair. […]

« Quelle est cette force ainsi retenue ? On ne sait pas. La passion, le désir, la parole. Soi-même.

« Quelquefois, par hasard, je côtoie ceux qui sont ainsi arc-boutés et l’énergie silencieuse de leur être m’envahit, me parcourt mieux qu’aucune parole. Le silence se répand autour d’eux comme le calme intense de la nuit ou du désert, comme l’absence démesurée de la mer, comme le poids incalculable d’une haute montagne.

« Ce qu’ils retiennent en eux, en même temps ils le donnent. C’est cela qui est extraordinaire. Ceux qui parlent, ceux qui s’exposent, qui se livrent, leur substance passe sur nous un instant, comme un vent, et rien ne reste. Mais ceux qui, par la souffrance, la volonté, la pudeur, restent eux-mêmes, restent en eux-mêmes, blocs insécables, intemporels : leur obstination et leur mutisme nous conduisent à un autre règne […].

 « On ne s’habitue jamais au silence. On ne se lasse pas de ce pouvoir sur soi-même. Ceux qui ont ce silence et ce pouvoir sont les vrais vivants ; ce sont eux qui parlent, eux qui inventent la vie. Ce sont eux qui s’habitent et ne se quittent pas. Leur règne n’est pas le désir de conquête, ils ne cherchent pas à séduire ni à juger. Ils sont eux-mêmes, totalement, simplement, comme les arbres sont des arbres, et la lumière est la lumière. »

 

J.-M. G. Le Clézio, L’inconnu sur la terre, Paris, Éditions Gallimard, 1978, p. 91-94.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS