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À lire toujours sans se presser en y mettant calmement le temps

C’est ce que je vous conseillais quand, le 23 juillet 2013, je vous parlais de François Bott. Celui-ci fut responsable du département littéraire du quotidien français Le Monde pendant au moins dix ans.

Il n’écrivait guère, je trouvais, pas assez. Mais lorsqu’il s’attardait à un auteur et sa dernière parution, le lire était un pur bonheur. Il aura 83 ans en juin prochain.

Je possède son ouvrage Journées intimes. Comme je vous l’écrivais : À lire sans se presser en y mettant calmement le temps. Extraits.

Nous avons longtemps voyagé avant notre naissance. Nous venons d’un néant lointain. Aussi les anciens Chinois pensaient-ils que mourir, c’était rentrer chez soi. « La mort, dit Jünger, est le plus profond souvenir… »

Quand on me demande si je crois ou non en Dieu, j’omets de répondre, car la question me laisse indifférent. Je crois seulement au dialogue infini des vivants et des morts.

Le triomphe, misérable et meurtrier, des impostures peut entraîner à la misanthropie les esprits les plus rêveurs et les plus enthousiastes.

Monique R. a rêvé que le vent emportait les pages de mon livre, et qu’elles devenaient des feuilles d’arbre. Ce rêve me plaît beaucoup.

Françoise Roth me raconte l’histoire d’une femme de soixante-dix ans qui s’est présentée dans un hôpital au service des urgences, parce qu’elle était désespérée de ne plus jamais faire l’amour.

Les gens qui m’intéressent marient l’orgueil et le désarroi, le cynisme et les sentiments.

L’indécision est la vérité de l’amour. Nous sommes mouvants, sans cesse traversés par des impulsions, des envies contraires. C’est un mensonge de déclarer : j’aime ou je n’aime plus. Rien, dans l’existence, ne commence, ni ne s’achève, sauf l’existence. Nous ne pouvons pas même dire que nous ayons commencé, car nous sommes déjà dotés d’un immense passé, quand nous accédons à la conscience…

Dans les écoles, on devrait enseigner la haine de la similitude, puisque celle-ci nous appauvrit, et suscite notre ennui.

« Quand le superficiel me fatigue, il me fatigue tant que, pour me reposer, j’ai besoin d’un abîme », confiait Antonio Porchia. Cet auteur, qui avait émigré de Calabre en Argentine, mourut à Buenos Aires en 1968. Il n’a laissé qu’un livre, mais ce recueil d’aphorismes, intitulé Voix, exerce la plus grande séduction. Comme Lao-tseu, Porchia concilie la clarté de l’expression et la profondeur de la pensée, notamment lorsqu’il évoque le mystère de ses rapports avec le monde. « Mes veines, au-delà de mon corps, ne sont pas visibles », dit-il… Ailleurs, il note : « Mes morts continuent de souffrir la douleur de la vie, en moi. » Maître dans l’art du paradoxe, il écrit aussi : « Parfois, ce que je désire et ce que je ne désire pas se font tant de concessions qu’ils en viennent à se ressembler. »

Le visage d’une belle femme est une eau dans laquelle je cherche, désespérément, le désaveu de la mort.

 

François Bott, Journées intimes, Albin Michel, 1984.

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