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Les journées intimes de François Bott

Il faut que je vous parle enfin de François Bott, écrivain français qui a eu 78 ans le 26 juin. Pendant au moins dix ans, il fut responsable du département littéraire du journal Le Monde, à Paris. J’aimais tant sa plume. Il n’écrivait pas à chaque semaine, mais, lorsqu’il s’attardait à un auteur, à un livre, le lire était un pur bonheur.

Je ne me souviens plus dans quel salon du livre je fus à Paris (j’ai bien dû y aller quelques fois), mais voilà qu’un jour j’aperçois soudain sa belle tête. Il marchait seul, sans personne qui savait que c’était bien lui. Alors, je n’ai pu me retenir d’aller le saluer, lui serrer la main. Comme je l’avais fait pour Michel Serres dans le métro parisien. Je ne peux me retenir dans ces moments. Mon père, pourtant homme si réservé, faisait de même. On dirait que ça anoblit alors, pendant un instant, que de partager la condition humaine avec des êtres semblables.

Dans mes livres de sagesse, j’ai un livre de Bott, Journées intimes, publié chez Albin Michel en 1984, un recueil d’aphorismes. J’aime beaucoup les aphorismes. Le 27 janvier 1984, dans Le Monde, sous le titre Le sentiment du mystère, le journaliste Thomas Ferenczi écrit au sujet de la démarche de Bott dans cet ouvrage : «François Bott ne cherche pas à percer les arcanes de la création. Il n’a pas pour ambition de dévoiler une vérité cachée ni de suggérer une explication du monde. Il se méfie des systèmes, ne croit pas à la vérité révélée. Aux théories il préfère l’«usage des maximes» qui «contrarie les prétentions de l’esprit de système et conduit la pensée à devenir plus modeste». «L’aphorisme, ajoute-t-il, veut exprimer seulement une vérité fragmentaire, en laissant aux jugements ultérieurs le loisir de contester celle-ci.»

Attention. Bott ne cherche pas à bercer. Souvent, le voilà imparable. Extraits. À lire toujours sans se presser, en y mettant calmement le temps.

 

Écrire, c’est arracher aux mots leurs secrets.

Marier le souci et l’ironie de vivre.

Il faut avoir passé une nuit tranquille, pour considérer les autres, et le monde, avec indulgence.

Certaines personnes allègent mystérieusement l’existence.

Le père est un rempart contre la mort. Quand il disparaît, il faut devenir soi-même ce rempart.

Si Dieu se permet d’exister, et s’il mérite sa réputation de toute-puissance, comment concevoir qu’il ne soit pas, en même temps, le diable ?

Cet homme tressaille, car le temps le traverse.

Dans la haine ou l’amour de soi-même, un soupçon d’humour est recommandé.

«Seule la beauté me fait pleurer, disait Bérénice, mais j’éprouve du ressentiment contre les imitations de la beauté.»

Quand on désire une revanche, on subit le despotisme de son passé.

Changer de lieu, c’est une autre manière de naître.

J’éprouve une réticence de plus en plus forte à l’égard de toute explication générale.

Il faudrait rejeter toute religion : tout ce qui nous relie d’une manière tyrannique.

Vivre ou écrire d’une manière médiocre, c’est être indigne du mystère qui nous habite.

Danielle s’étonne qu’on se souvienne de soi, tous les matins au réveil.

La manière dont Cioran dénonce l’existence trahit la passion qu’il porte à celle-ci.

J’aime une littérature excessive dans les pensées, ou les émotions, mais retenue dans la manière.

Seuls les gares et les cimetières échappent à la banalité quotidienne. Les employés des chemins de fer et ceux des pompes funèbres sont des fonctionnaires de l’exceptionnel.

On veut nous réduire à l’unité de temps, mais nous vivons simultanément des histoires qui n’ont pas le même âge, car nous sommes habités par toutes nos années disparues, comme par les temps lointains, qui nous ont devancés. «Nous sommes plus vieux que notre vie», dit Edmond Jabès.

Certains jours, on déteste les autres, c’est inévitable. Il faut essayer seulement de les détester avec courtoisie.

Durant cette journée de décembre, où le lent cortège des nuages gris-noir évoquait celui des années, aucun passant, curieusement, ne se hâtait. Les Parisiens se promenaient, un peu mélancoliques mais heureux, comme si l’existence n’avait jamais été qu’un long dimanche.

En arrivant à Venise, nous apercevons dans la brume du petit matin la silhouette trapue d’un flâneur solitaire, qui ressemble à Spencer Tracy, et qui peut-être a égaré son âme.

 

François Bott, Journées intimes, Albin Michel, 1984. Nous allons sûrement y revenir un de ces jours.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. MC Lapierre #

    J’aime bien ¨ Marier le souci et l’ironie de vivre ¨. Merci pour cette autre découverte !

    23 juillet 2013
  2. Jean Provencher #

    Merci beaucoup. Belle soirée à vous.

    23 juillet 2013

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