« Nous ne sommes pour de vrai que lorsque des soleils se lèvent en nous »
J’aime bien Emil Cioran (1911-1995), cet écrivain d’origine roumaine, habitant la France à partir de 1946. Mais je ne le fréquente pas régulièrement, je le trouve trop triste. Sa page Wikipédia affirme qu’il appartient à l’école/tradition du pessimisme, du scepticisme, du cynisme, du nihilisme. Il écrit « Seuls nous séduisent les esprits qui se sont détruits pour avoir voulu donner un sens à leur vie. »
Mais j’ai tout de même trouvé ce passage :
Exister est un pli que je ne désespère pas d’attraper. J’imiterai les autres, les malins qui y sont parvenus, les transfuges de la lucidité, je pillerai leurs secrets, et jusqu’à leurs espoirs, tout heureux de m’agripper avec eux aux indignités qui mènent à la vie. Le non m’excède, le oui me tente. Ayant épuisé mes réserves en négation, et peut-être la négation elle-même, pourquoi ne sortirais-je pas dans le rue crier à tue-tête que je me trouve au seuil d’une vérité, de la seule qui vaille ? Mais ce qu’elle est, je l’ignore encore ; je n’en connais que la joie qui la précède la joie et la folie et la peur. […]
À force de déraison, convertissons-nous en source, en origine, en point initial, multiplions, par tous les moyens, nos moments cosmogoniques. Nous ne sommes pour de vrai que lorsque nous irradions du temps, lorsque des soleils se lèvent en nous et que nous en prodiguons les rayons, lesquels éclairent les instants… Nous assistons alors à cette volubilité des choses, surprises d’être venues à l’existence, impatientes d’étaler leur étonnement dans les métaphores de la lumière.
E. M. Cioran, La tentation d’exister, Paris, Gallimard, 1956, p. 241s. La citation du premier paragraphe de ce billet se trouve à la page 24 de l’ouvrage.