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L’historien Benjamin Sulte raconte l’hiver québécois aux Français de France (premier de trois billets)

Le quotidien montréalais La Patrie reprend un article de Sulte paru dans la Revue du Monde latin, publié à Paris.

Sous l’influence d’un climat différent de celui de son pays d’origine, le Français du Canada s’est transformé sensiblement ; ses mœurs et ses coutumes ont subi des modifications ; — mais il a conservé son caractère français, sa jovialité, sa gauloiserie, son franc parler, et nul ne le prendrait pour autre que pour un Français.

Je dis « influence du climat ». Il faut comprendre sous ces mots : nourriture, vêtements, demeures. La race humaine, depuis Noé, serait restée sur un type unique, sans l’empreinte qu’elle a subie en changeant de milieu et en se répandant en des contrées diverses. Partout, le climat a été le principal agent des altérations dont elle nous offre le tableau. De même dans mon pays.

Le paysan de France, le soldat laboureur, —  nos deux plus forts éléments, — ont rencontré ici des étés torrides et des hivers du Groënland. Mettez d’autres Français dans un pareil milieu et, après deux siècles et demi, vous les retrouverez… Canadiens [entendons que cette appellation s’applique ici aux descendants des Français de France habitant maintenant le Québec, l’auteur le précisera demain].

Il fallut d’abord se vêtir pour la saison rigoureuse. Le costume canadien actuel s’est créé dès les premiers jours. Le voici : chaussure « sauvage », en peau « d’orignal » ou de « caribou », souple, mince, chaude au-delà de toute imagination ; grande capote de bure, au tissu serré, retenue à la taille par une longue ceinture de laine aux couleurs voyantes, et portant sur le dos un capuchon ample qui se promène sur la tête. Le chef est coiffé de la « tuque » de laine tricotée, — le bouquet phrygien ; des mitaines aux mains, bien doublées, très commodes.

La neige commence en décembre et disparaît en avril ; une moyenne de quatre mois, souvent plus. Les « bordées », comme nous appelons ces orages paisibles, tombent dru et recouvrent la terre à la hauteur d’un mètre, souvent davantage. C’est un manteau qui préserve la racine des plantes des morsures du froid. La neige est la sauvegarde de nos récoltes ; aussi l’aime-t-on.

Chaque bordée purifie l’atmosphère en entraînant avec elle les germes malfaisants qui flottent dans l’espace. Rien n’est pur comme l’air de notre pays. La neige qui tombe amène toujours le doux temps. On respire à pleine poitrine. La gaieté s’en ressent si bien, que nous ne sommes jamais tristes en hiver. Pas de nuages. Un soleil constamment radieux, excepté pendant les deux ou trois heures d’une bordée.

Le ciel du Canada, de décembre à mai, est libre, bleu, profond, reposant l’œil, réjouissant, délicieux. Ni brumes, ni brouillards. Toujours du soleil, clair et joyeux. La nuit nous inonde de la lumière des étoiles, reflétée par la neige avec son intensité surprenante. Les aurores boréales sont de véritables illuminations. On y voit comme en plein jour, lorsque la lune a acquis sa grandeur.

 

La suite : demain.

La Patrie (Montréal), 12 septembre 1884.

Un commentaire Publier un commentaire
  1. Hélène #

    Bien vu!
    L’hiver est long mais il sent bon!

    5 septembre 2017

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