Serge Bouchard sur la lune

Il y a un moment déjà, 26 ans, mon ami Serge Bouchard, anthropologue, homme de radio aussi, publiait un premier livre, de courtes nouvelles sur mille et un sujets.

Voici des extraits de ce qu’il dit sur la lune.

Pour sa douceur et ses bons conseils, la lune est méprisée par les tenants de la clarté. Ce n’est pas difficile, un rien l’éclipse, un rien la voile. La rigueur la combat parce que la rigueur se méfie de ses imprécisions, de son bleu reflet lorsqu’elle est pleine et qu’elle sème dans le fleuve les diamants de sa confusion.

La lune est un astre fragile dans la mesure où sa course ne tient qu’à un fil, celui des lois et des calculs dont elle sait bien qu’ils sont susceptibles de varier. Elle pourrait, un soir ou l’autre, buter bêtement contre la terre, elle pourrait, sur son élan millénaire et pour un tour mal négocié, perdre le contrôle de son plan circulaire et s’éloigner d’un cran dans l’espace planétaire, finir captive de Jupiter où elle serait obscure et attristée.

Sans la lune dans nos entourages, nous serions bien mal pris. Force est d’admettre que tout ce qui vient d’elle est réfléchi, songé et soupesé. C’est la seule chose dans le ciel qui ait l’art de reluire sans pour autant briller. Si elle se décrochait, cela ferait un grand trou noir dans le ciel de nos jongleries.

Cette lune mystérieuse, qui brasse le liquide et agite l’eau, est la cause de nos vagues à l’âme. Elle est la complice de nos étourderies. Maîtresse du penchant et déesse de la nuit, elle marie l’ange et le démon au sein de notre inspiration, au gré de notre imagination. […]

Si la lune pouvait parler, que ne nous dirait-elle pas ? Elle nous restituerait nos rêves, ces rêves par mille et un milliers que nous faisons depuis les premiers âges de notre courte éternité. Nous saurions de la sorte, nous saurions finalement, ce que nous pouvions être et ce que nous n’avons jamais été.

Serge Bouchard, Le moineau domestique. Histoire de vivre, Montréal, Guérin littérature, 1991.