Skip to content

Les soirées dans les Pays d’en Haut

Durant les années 1880, Benjamin-Antoine Testard de Montigny se rendit explorer le Nord de Montréal. Et il a de bien belles descriptions de soirées dans ces nouveaux territoires. Voici celle-ci.

Le soir, dès que le soleil s’enveloppe dans son costume de nuages pour aller voyager sur un autre hémicycle, et que les charmantes voyageuses de la nuit passent en souriant à la terre, d’autres bruits se font entendre, c’est un langage nouveau.

À la lisière du bois, on distingue le son d’une cloche fêlée, qu’une vache pilote porte à son coup. Sur les coteaux débouchent les laitières rouges, noires et caille qui, à travers les souches calcinées, cheminent, non sans « tondre dans les prés la largeur de leur langue » pour se rendre à la barrière du parc, où les attendent près d’un feu étouffé les bergères de la localité. Chacune a son langage pour inviter sa favorite à ne pas tant s’amuser : Viens Brunette, viens, ma fine, viens. Viens Caillette, viens ma belle, viens.

Et en réponse à ce tendre appel la bonne bête fait entendre un doux mugissement, et vient se ranger près de la fumée pour y offrir à sa maîtresse la plus riche de son lit.

Et puis c’est un arbre qui s’abat dans la forêt en jetant aux échos le râle de son agonie. Sur la route on entend le pionnier attardé qui revient de défricher et qui, pour se donner de l’assurance, chante en faisant filer sa voix une chanson de la drave. […]

On entend quelques voix qui nous arrivent sur les ailes calmes de l’air embaumé par les parfums des arbres et des prés — : c’est celle des enfants qui se bousculent dans la prairie ou la voix grave du colon qui s’enquiert si les barrières sont fermées, si la pouliche est dans le pré ou la génisse à l’étable.

C’est sur le lac voisin la conversation des pêcheurs qui accompagne le bruit des avirons sur le bord du canot ou sur l’onde tranquille. Et vous demandez d’où viennent donc ces babils ? C’est chez le voisin — qui est à un mille d’ici. Et ce bruit de rame ? C’est au Petit Nominingue — à 3 milles d’ici. Et tout à coup un chasseur qui a fini sa journée et qui veut décharger son arme, lance un coup de feu dont l’écho se répercute de montagnes en montagnes. Il est peut-être à neuf milles d’ici.

 

Le Recorder Testard de Montigny, La colonisation, Le Nord de Montréal ou la région Labelle, Montréal, Beauchemin, 1896, p. 262s.

Ci-haut, la propriété de Charles Lamarre, colon établi en 1936 à Sainte-Germaine-de-Palmerolle, Abitibi, une photographie de Donat C. Noiseux en 1941 déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote : E6,S7,SS1,P2333.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS