La Terre vit sa vie propre
Dérive des continents, éruption volcanique, tremblement de terre, inondation, grande tempête… Aux vivants de s’y faire.
Le Québec a connu de grands éboulis. Terre d’argile à plusieurs endroits, celle-ci annonce bien rarement le moment où tout un pan partira, emportant ce qui s’y trouve.
Notre-Dame-de-la-Salette, sur la Lièvre, dans l’Outaouais, en sait quelque chose. Et, de surcroît, l’événement se passe dans la nuit du 26 avril 1908.
Samedi soir, le coquet petit village de Notre-Dame de la Salette s’est endormi, comme à l’ordinaire, dans le calme et la tranquillité.
Les eaux de la Lièvre qui coulait en bas de la berge taillée à pic étaient grossies par la fonte de la neige, mais pas plus qu’à l’ordinaire, à cette époque de l’année. La rivière charriait de la glace, mais la crue des eaux donnait un passage libre aux glaçons. Tout était donc à l’état normal, lorsque, une par une, les lumières s’éteignirent dans les petites maisons de ferme et que la nuit s’étendit dans le village.
À quatre heures du matin, dimanche, les habitants furent éveillés par un sourd grondement comme le bruit du tonnerre. En même temps, le sol oscilla et les maisons sursautèrent. Brusquement, arrachés de leur sommeil, muets de terreur, les habitants écoutèrent et attendirent, se demandant si ce n’était pas la fin du monde.
Du côté de la rivière, le bruit sourd continuait de se faire entendre, augmentant la confusion des gens. Puis, le bruit cessa et tout rentra dans le silence le plus absolu.
Soudain, l’on entendit un craquement terrible, non plus du côté de la rivière, mais au centre même du village. Il y eut comme une poussée dans l’air et un sifflement comme le bruit d’un cyclone. Des chocs succédèrent aux chocs où étaient ces maisons.
Les villageois s’élancèrent dehors et s’aperçurent que la moitié du village était disparue et que là où était la côte coulait un impétueux torrent. Là où étaient les fermes et leurs dépendances s’élevaient des pyramides de glace que les flots tourmentés de la Lièvre assaillaient de toutes parts.
Quatorze maisons de ferme étaient disparues. Qu’étaient devenus les habitants ? Où étaient les quarante personnes qu’abritaient ces maisons ? Il n’y avait pas un être vivant dans cet amoncellement de ruines.
En une seconde, pendant que les uns dormaient et que les autres se demandaient quelle pouvait bien être la cause du bruit sinistre qui les avait éveillés, leurs maisons furent broyées comme des maisons de cartes.
Jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants, ont péri, en un clin d’œil.
La rivière avait rompu ses liens et elle s’était ruée sur le village, qu’elle avait englouti !
Quand vint le jour, l’on put se rendre compte de ce qui était arrivé.
À midi, on constate que 33 personnes ont péri.
Seize cadavres ont été trouvés sur le théâtre même de l’accident.
Quatre autres cadavres sont passés, ce matin, à Buckingham, dont un seul a pu être arrêté.
On s’attend à en voir descendre d’autres d’ici à un peu de temps.
Pendant longtemps, on parlera de cette catastrophe de Notre-Dame-de-la-Salette.
Le site internet de la municipalité, d’où provient la photographie, mentionne que 34 personnes ne furent jamais retrouvées.
La Patrie (Montréal), 27 avril 1908.