Le capitaine Joseph Duval
Dans la presse québécoise de 1880 à 1910, il est rare qu’on rende un hommage prononcé à un capitaine de navires sur le fleuve Saint-Laurent, sans doute parce que celui-ci y va simplement de son travail de tous les jours.
Chose certaine, les capitaines sont généralement bien aimés. Ils portent la confiance de leurs passagers.
En voici un que le journal du matin de Sorel, Le Sud, du 3 mars 1888, salue. Joseph Duval, son nom. Il prend sa retraite. Sans doute que personne mieux que lui, pour l’avoir tant fréquenté, ne connaissait aussi bien les humeurs du lac Saint-Pierre, cette «mer intérieure» longue de 38 kilomètres et large de dix, en plein cœur du Saint-Laurent entre Trois-Rivières et Montréal.
Les pèlerins, qui se rendent tous les ans en foule au sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré, n’auront plu le plaisir de rencontrer, à bord du «Canada», le capitaine Duval. Ce vaillant navigateur, qui portait si bien ses soixante-dix ans, dont l’extérieur plein d’assurance et de fermeté, l’expérience consommée, excitaient l’admiration, a été atteint, il y a quelques mois, par une inflammation de poumon, qui a laissé quelques traces de son passage et qui le force à déserter son poste plus tôt qu’il n’aurait voulu le faire.
Le capitaine Duval est encore vigoureux, mais les accidents de température qu’il faudrait affronter de nouveau, à bord d’un bateau à vapeur, il ne peut plus les essuyer sans danger; il est donc temps de prendre sa retraite.
Né à Yamachiche, le capitaine Duval a passé sa vie presqu’entière à Port-Saint-François [le port de la communauté de Nicolet sur le lac Saint-Pierre], lorsqu’il n’était pas sur le Saint-Laurent. Il y a quarante-neuf ans qu’il mit le pied sur un bateau à vapeur la première fois en qualité de capitaine.
Ce vaisseau appartenait à M. Augustin Saint-Louis, père du capitaine de ce nom, et le capitaine Duval fut à l’emploi de M. Saint-Louis pendant sept ans. Il devint alors actionnaire dans la compagnie de navigation du lac Saint-Pierre, et prit le commandement du «Castor», qu’il garda neuf ans; il fut encore sept ans capitaine de la «Mouche à Feu».
La compagnie du lac Saint-Pierre s’étant fusionnée avec la compagnie du Richelieu, M. Duval prit le commandement du «Castor» pour le compte de cette dernière compagnie et fut ensuite successivement capitaine du «Colombia», du «Trois-Rivières» et du «Canada».
Durant ses quarante-neuf ans de navigation, le capt. Duval n’a jamais perdu un seul homme, jamais essuyé d’accident. Sa longue expérience et sa complète familiarité avec toutes les passes, tous les écueils, tous les dangers du Saint-Laurent en faisaient un homme précieux pour la compagnie du Richelieu.
Sa franchise, sa probité, ses allures de franc Canadien et franc navigateur lui ont de tout temps conquis l’estime et l’amitié du public, qui apprendra la nouvelle de sa retraite avec autant de regrets que la compagnie du Richelieu elle-même. Le vieux capitaine a, cependant, droit à ce repos et il n’est que trop juste de lui accorder.
Le Sud, 3 mars 1888.
La photographie d’un des phares de Port-Saint-François sur le lac Saint-Pierre, prise par Anne Plamondon, apparaît sur le site Répertoire du patrimoine culturel du Québec.