Étrange poème, cri d’amour
Son nom
Ceux qui ne t’aiment pas te nomment trop souvent,
Et bien des fois mon culte a souffert de ta gloire;
Mais je n’ai dit ton nom qu’aux oreilles du vent,
Et je n’ai dévoilé mon cœur qu’à la nuit noire.
Car on a trop chanté ta grâce et ta beauté;
Ta grâce et ta beauté sont la chanson des foules
Tu resplendis sur tous comme les ciels d’été,
Et les passants ont droit aux roses que tu foules.
C’est pour un peuple entier que ton visage est doux,
Et chacun prend de toi ce que j’en pris moi-même;
Ton regard, ton parfum, ta voix, tout est à tous
Et l’on sait tout, sinon de quel amour je t’aime.
Je ne possède rien de toi que mon secret
Mon secret seul, bien que nul autre ne partage,
Et je veux le garder, car mon amour croirait
En avouant ton nom, te perdre davantage.
Lauretta de Bonville.
La Patrie (Montréal), 24 janvier 1904.
Le 30 janvier 1904, une semaine après la publication de ce poème, la chroniqueuse Madeleine, responsable de la page féminine de La Patrie où apparaît des poèmes, est en furie.
«La poésie, qui a paru dans le royaume, samedi dernier, signée «Lauretta de Bonville», est un effronté plagiat. «Son nom» est une pièce de Edmond Haraucourt, un poète français très connu. […] Je prie tous nos lecteurs de prendre note de la déclaration que je fais ici et de restituer à Edmond Haraucourt la part d’admiration que la tristement poétesse de Bonville a essayé d’attirer vers elle. […] Je remercie sincèrement les personnes qui m’ont aidée à découvrir cette fraude et, en particulier, mon jeune confère, M. Albert Lozeau, le charmant poète.»