«Le silence est doux pour les cœurs solitaires»
Nouveau texte du poète et conteur de Lanoraie Louis-Joseph Doucet (1874-1959).
Nocturne
Petit poème en prose
La paix du soir envahissait les champs et les bois et, dans l’assoupissement lointain des ondes, la lune sortait, trempant le bas de son masque rouge au bord de l’horizon. Ému de bien des solitudes, le cœur moins secoué du heurt des foules, comme l’oiseau nocturne, méditant le silence où s’éveillent les âmes, sur la route qui se déroule comme un ruban fané, j’errais vers la savane.
Un feu follet vint distraire ma pensée puis, comme le sourire passager d’une vie qui s’éteint, son rayonnement cessa tout près de la source noircie et froide où je bus dans une écorce de bouleau. Et le rêve descendit en moi, peu à peu, à mesure que s’éclairaient les cieux : à cette même source noircie et froide les étoiles se mirèrent comme dans une prunelle.
Ces esprits sylvains chuchotaient leur mystère, le foin paisible tressaillit au retour soudain d’une brise, mais les étoiles regardaient toujours la bonne source qui pleurait dan sa pensée inconnue, car la nature ressent toujours la nature que nous traversons et garde une affinité, même avec les choses les plus lointaines, et la source s’égaye du mirage des étoiles, et le roseau s’émeut du souffle des nuits; le silence est doux pour les cœurs solitaires, la voix du temps, qui forme notre vie, charme nos espérances.
Astres qui scintillez plus loin que l’immensité bleue et qui saluez le mirage incompris des ondes terrestres, quelle que soit votre fuite et votre destinée, caressez, caressez le front qui mendie votre lumière, ô source de pensées, ô marchepied des dieux, souvenez-vous qu’il faut une nourriture aux plus petites âmes !
Louis-Joseph Doucet, Contes du Vieux Temps (Montréal, J. G. Yon Éditeur, 1911).