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Le second campement autour d’un feu

contes rustiques et poemes quotidiens

Il m’arrive de croire que des contes québécois sont à la traîne, quelque part dans de vieux livres ou des journaux d’autrefois. Nous risquons de les perdre, car il n’y a jamais eu de recension. Et les auteurs, anonymes ou moins connus que Louis Fréchette et Honoré Beaugrand, peinent à vivre aujourd’hui dans la mémoire québécoise.

Voici un de ces contes, de Louis-Joseph Doucet, grand ami du poète Albert Lozeau. Au moins une fois par année, les maquignons de la région de Québec, ces vendeurs de chevaux, se donnaient rendez-vous en famille sur un terrain vacant au bout de la route Saint-Vallier, près du cimetière Saint-Charles. Là, on vivait sous la tente, autour de feux de camp, où on se racontait des histoires, tous les chevaux aux alentours.

La lune s’était levée et le second campement veillait autour d’un autre feu. Un peintre eut pu le dessiner avec intérêt et profit. On y jouait du violon et, sous le ciel lunaire et étoilé, des rêves berceurs rodaient avec des consolations pour une enfant malade, la petite Laflamme.

Comme le grand’père Laflamme partait avec son meilleur cheval pour courir au docteur, pendant que le violoneux jouait plus doux et plus lentement afin, dans l’intention, d’engourdir un peu le mal de la souffrante, il se fit comme un remous dans le campement voisin, puis une couple de cris avertit que la jument maligne, la folle, celle qu’on voulait échanger avec Pierre Garneau, de la Rivière Jaune, s’était échappée.

Elle courait sur le camp des Laflamme, et la petite malade eut peur.

Ce fut le violoneux qui, vif comme le vent, lâcha le crin de l’archet pour sauter à la crinière et au nez de la bête furieuse, on dit que celle-ci avait été surexcitée par un chien enragé. Le brave garçon achevait de maîtriser la monture récalcitrante, quand celle-ci s’enfargea dans un travail de voiture et s’abattit, laissant l’homme suspendu à ses crins se frapper la tempe sur un moyeu de roue. Le choc ne parut pas violent, mais la tempe était brisée. […]

Le médecin, sous les tentes, affirma que la jeune fille serait sauvée, mais que le sauveur serait condamné.

On décida la jeune fille à aller à l’hôpital; elle vit, à la clarté d’un vieux fanal et sous les rayons de la lune blafarde, le violoneux dont on étanchait le front plein de sang; il lui sourit d’un sourire de bonté, mais son regard à elle s’emplit de larmes.

Les pronostics du médecin furent vrais, le violoneux mourut le lendemain à midi ou midi et demi, après avoir fait un peu de délire, affirmant qu’il était marié et que sa femme vivait dans une autre ville; il sentit la mort venir, refusant toujours de se laisser conduire à l’hôpital, essaya de chanter la complainte du pendu, mais ne put la finir.

Je cite ce que je sais de cette complainte, elle représente le condamné sur l’échafaud, au moment d’être lancé dans l’éternité; c’est le dialogue d’un fils et d’une mère où l’épouse aussi intervient, l’air de ce chant est empreint d’une grande tristesse :

Le Pendu

Le premier vol que j’ai fait,

C’est un couteau que j’ai volé :

De chez mon oncle un couteau j’ai volé;

Fallait prendre une verge, me l’envoyer porter.

La Mère

Mon fils, on avait que vous d’enfant,

On vous aimait si tendrement.

Le Pendu

Que de tendresses vous avez eues pour moi !

Mais voyez le malheur que vous m’avez causé.

L’Épouse

Sa femme se jette à ses genoux,

Disant : «Grand Dieu secourez-nous !»

Le Pendu

Relève-toi et ne pleure point tant,

Prends un exemple, élève tes enfants !

 

Il ne put même tout chanter, mais, quand il cessa de chanter, il dit : «Ma tête est vide, je ne sais quoi dire, si monsieur le curé vient, dites-lui que ce qui me reproche n’est que peccadille….. mettez un peu de foin sous ma tête».

Quelqu’un affirme qu’il ajouta dans un murmure : «Vive la France !» en se plongeant la tête dans le bon foin, avec l’idée d’y placer tout son corps, comme un chat. Il expira longuement et ce fut tout.

On dit aussi que dans l’après-midi, quand sonna le glas, à cet instant tous les chevaux hennirent.

Ce qui est certain c’est que la jeune fille Laflamme dont le grand’père était français de France est aujourd’hui l’épouse heureuse d’un riche négociant québécois, et mère de trois beaux enfants.

Elle m’a dit n’avoir jamais oublié le pauvre violoneux. À chaque anniversaire du jour de son départ de ce monde, elle fait brûler un cierge à sa mémoire, et ce cierge s’éteint seul à midi et 20 minutes comme s’il était soufflé par un esprit invisible.

 

Ce texte est extrait de l’ouvrage Contes rustiques et Poèmes quotidiens, (Montréal, J.-G. Yon, 1921) de Louis-Joseph Doucet.

Vous trouverez ici d’autres billets en lien avec Louis-Joseph Doucet.

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