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Québec se retrouvera bientôt en hiver

Rue Saint-Joseph le soir

Adrienne Choquette a publié en 1961, à l’Institut littéraire de Québec, un petit livre plein de charme : Laure Clouet.

Dans cet ouvrage fin, elle échappe des phrases du type : Certains mouvements du laitiers parfois dérangeaient un peu les bouteilles et alors Hermine entendait comme un son de clochette très gai et très léger. Elle souriait en évoquant les aurores d’été à la campagne, lorsqu’une jeune chèvre s’éveille avant tout le troupeau.

Ici, voici donc Adrienne à Québec, au temps de la radio, avant la télévision, quelque part durant les années 1940.

Le mois de septembre s’acheva presque sans pluie. Un matin, vues de la côte Sainte-Geneviève, les Laurentides firent l’effet de flamber. De jour en jour, les arbres de la Grande-Allée se transformèrent sous les yeux des promeneurs, filtrant au soleil couchant des rayons de lumière rousse que de jeunes peintres tentaient de fixer sur leurs toiles. Mais l’instant d’après, les feuilles roses n’étaient plus roses, ni l’érable or, ni le hêtre couleur de sang; il fallait attendre au matin suivant. Alors tout recommençait avec violence, et les yeux, pour avoir trop longtemps regardé, se teintaient d’ocre et d’émeraude.

La ville se mit à sa vie d’automne, raffinée à la porte Saint-Louis, faite de bals, de dîners d’État; âpre chez les ouvriers. Dans l’entre-deux se situait le peuple du commerce québécois, à partir du petit boutiquier de la côte du Palais et de la rue Saint-Paul, bon enfant sous des dehors abruptes, jusqu’aux grands propriétaires invisibles des magasins à rayons, des compagnies d’assurances, des courtiers en valeurs immobilières.

Souvent, dans la masse des travailleurs divisés en grappes humaines aux arrêts d’autobus, on reconnaissait la tête de malchance des chômeurs. Ils formaient une seconde masse d’attente. Les plus âgés étaient vêtus comme s’ils sortaient de l’usine, mais les jeunes usaient leurs costumes du dimanche et taquinaient de propos bruyants les serveuses de restaurants.

Entre les autos couraient les gamins de Québec, toujours au courant de tout, candides et débrouillards, parfois d’une telle joliesse de traits sous leurs grimaces moqueuses qu’on en éprouvait un choc heureux. […]

Le jour tombait rapidement sans qu’on y prît garde sous le fluorescent multicolore des panneaux-réclame. Dans l’autobus qui grimpait la côte d’Abraham, parfois des lueurs mauves à courtes veines d’or traversaient les vitres pour se poser sur une épaule, sur un front. L’individu ainsi touché faisait le geste de se débarrasser d’un insecte et ses voisins d’en face le regardaient avec indifférence resplendir quelques secondes d’un éclat fantastique. […]

Soucieux, inquiet même, mais pudique de ses sentiments jusqu’à la gouaille, le peuple de Québec s’agitait nerveusement aux approches de l’hiver. Dès les premières soirées fraîches recommençait, pour les uns, l’éternel calcul du combustible à faire durer et des vêtements à renforcer aux coutures. Pourvu que le syndicat ne votât point… Pourvu que la femme tînt jusqu’au printemps malgré sa vessie crevée… Pourvu que le gars… Pourvu que la fille… Longtemps, n’importe quel travailleur à petits gages réfléchissait pipe au bec devant son appareil de radio où des drames semblables aux siens toujours se dénouaient.

 

Vous avez aimé ? Vous aimerez «La rivière de son enfance» et «Le silence des nuits d’été».

La photographie : la rue Saint-Joseph, dans le faubourg Saint-Roch, à Québec.

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